ART | CRITIQUE

Encore une foi

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Le dessin chez Perjovschi n’est pas précieux, encadré, organisé. Il s’arrache des blocs, se faxe éventuellement, se punaise, se scotche, pourrait se tracer à même le mur. Il remplit d’ailleurs les cimaises, les inonde d’informations pressées, immédiates, pour autant indispensables.

Le dessin de Dan Perjovschi ne se fait que dans l’urgence: c’est un trait rapide et incisif qui libère une pensée, un argument, une remarque, peut-être un constat mais jamais une synthèse définitive, plutôt une formulation critique et fragmentaire de l’état du monde.

Car le monde contracte ses pathologies, et Perjovschi en fait méthodiquement son beurre: «Encore une foi», l’exposition qu’il présente chez Michel Rein, revient sur quelques années d’intenses agitations qui ont vu naître, perdurer ou prolonger le drame irakien, les terrorismes religieux de tous bords, la guerre économique entre pays riches, la mondialisation déshumanisée, la dichotomie entre le Nord et le Sud, entre l’Ouest et l’Est, mais aussi les conflits internes d’un artiste roumain aux prises avec la situation du monde de l’art contemporain.

Les sujets sont sérieux, la réponse volontairement triviale n’empêche pas la pertinence de la réflexion. D’autant plus que les dessins accrochés remontent à 1998 pour les plus anciens et s’inscrivent tous dans la constitution de projets d’expositions: Manifesta 2 pour les premiers, Voilà en 2001 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, et des plus récents réalisés pour ses galeries new-yorkaises (Lublijana et Lombrad Freid Projects): leur réalité n’en est pas moins encore frappante.

En maniant l’humour potache et grinçant avec la réalité d’un monde en mouvement, en complétant son exposition au jour le jour, au gré de son inspiration et des dessins qu’il fait parvenir par fax dans l’une des salles ou bien en prolongeant son trait sur les murs comme un phrasé scandé dans le territoire de l’illicite, Perjovski jongle avec l’art populaire du graffiti autant qu’il s’approche du dessin de presse.
Il réussit même certainement à faire se rejoindre ces deux îlots que rien ou presque ne sépare. Son engagement politique et artistique au sein de la rédaction du magazine de société «22» à Bucarest participe de cette alchimie. Chez Dan Perjovschi, le dessin circule de main en main, de lieu en lieu, de support en support. Il en fait un vecteur de communication libre prêt à s’auto-saborder économiquement, et en ce sens, se présente comme un objet anti-commercial. Le dessin tel qu’il l’envisage, c’est-à-dire de manière «souterraine» et anti-déclamatoire, symbolise et rétablit une forme de critique populaire des pratiques et des pensées dominantes que celles-ci soient issues des sphères politiques, économiques, religieuses ou artistiques.

Et il est plutôt rassurant d’apprendre que c’est sur le terrain de l’art que cette critique se réalise pleinement.

Dan Perjovschi
— Encore une foi, 2006-2007. Dessins.
— Flipside, 2004. Dessins.
— Space Invaders, 2006. Dessins.
— Voilà ! Le monde dans la tête, 2000. Dessins.
— I Shot Myself in the Foot, 2005. Dessins.

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