DANSE | SPECTACLE

Encore

PSmaranda Olcèse-Trifan
@27 Mai 2010

Les RCISSD continuent en beauté, essaiment la danse dans le département selon un rythme haletant qui déclenche la gourmandise, voire la dépendance. Ainsi la soirée Wen-Chi Su et Vincent Dunoyer − des propositions chorégraphiques qui convergent vers la problématique de «l’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité» (Walter Benjamin).

Loop me de Wen-Chi Su
Reproductibilité mécanique − numérique du côté de Wen-Chi Su qui s’attache à l’image (fidèle, trouble puis défaillante) pour faire émerger des questions sur la présence et la temporalité du corps dansant. Un écran constitue la toile de fond de sa danse, d’abord fluide, toute en lenteur. Un rayon de lumière perce un cadre dans le cadre, une main bouge an ralenti, étrange − étrangère au corps qui se laisse sentir, densité dans l’obscurité. Cet écran va ensuite accueillir aux côtés du corps son image en taille et temps réels. Cette image est légèrement floue et pixélisée et en cela même elle sert le propos de la chorégraphe, faisant signe vers une présence atténuée, différée avant même que le décalage ne se produise, aura lointaine, toujours sur le point de se perdre.

Le décalage intervient, finit par évincer de manière inexorable le corps du dispositif. Ses images saccadées, brûlées, envahies et finalement chassées par la neige électronique dansent. C’est une danse hallucinatoire, impossible, irréelle, née des manipulations qu’un vidéaste performe en direct au sein même de la structure du mouvement, — accélérations et ralentis dans une même séquence — dont la temporalité se retrouve éclatée.

Encore de Vincent Dunoyer
La question de la reproductibilité traverse également la création de Vincent Dunoyer. Elle ne prend pas une forme tributaire aux technologies. L’accent est mis sur les mécanismes d’une mémoire inscrite à même le corps. Il y a glissement vers la transmission et l’incorporation.
Vincent Dunoyer continue donc sa recherche sur les gestes enfouis et l’empreinte intime que chaque chorégraphe pose sur les danseurs qui travaillent régulièrement avec lui. Sister, sa pièce dansée par Anne Teresa de Keersmaeker au Théâtre des Abbesses l’an dernier, fonctionnait déjà sur ce principe. Le jeu de mise en abîme du mouvement dans la mémoire et dans le corps est d’autant plus subtil quand on sait qu’à une époque, la chorégraphe créait l’architecture si précise et fine de ses pièces à partir des matériaux proposés par ses danseurs. Dans Sister, Anne Teresa de Keersmaeker se retrouve ainsi immergée dans un face à face avec sa danse, d’une manière complètement inédite. Elle reste tout de même dans son univers et malgré des références iconiques assez présentes, elle réussit à trouver son chemin à travers les mouvements et séquences – à les investir complètement, laborieusement, et à leur donner une cohérence.

Vincent Dunoyer pousse encore plus loin l’expérience avec cette nouvelle création. Il utilise comme matériel chorégraphique des œuvres de plusieurs chorégraphes: Anne Teresa de Keersmaeker, Etienne Guilloteau, Raimund Hoghe, Steve Paxton, The Wooster Group, Wim Vandekeybus, pour lesquels il a travaillé, se retrouvant ainsi le garant de cette transmission. Plusieurs danseurs investissent l’espace du plateau, ils viennent tous avec leurs acquis corporels et leur expérience. C’est pour Vincent Dunoyer une manière d’interroger aussi la relation chorégraphe-interprète et les processus à l’œuvre dans la création chorégraphique. Il s’inscrit dans une démarche qui remet en question les principes auctoriaux et les dictats de la Nouvelle danse française.

Le chorégraphe tient à expliciter son dispositif, à rendre visible la transmission et l’apprentissage, la reprise du geste. Les danseurs n’investissent jamais entièrement le mouvement, le geste se dérobe, résiste, et cette résistance renvoie inlassablement à un référent. Il y a des ruptures, des temps morts, des battements, jamais d’hésitation. La maîtrise du chorégraphe se situe précisément à ce niveau, il a le choix: des références, des danseurs, des moments que les danseurs vont reprendre. Il semble se soucier peu de la danse qu’il donne à voir et s’attarde sur les mécanismes de sa création, la manière dont elle vient aux corps, vient (ou pas) aux spectateurs. Il instaure un protocole plus poussé encore, plus éclaté que dans ses expérimentations antérieures. Il donne à voir un processus. La danse reste à l’écart, elle est quelque peu étrangère. Nous assistons les interprètes au travail, nous perçons à leur côté le secret de fouille et d’incorporation du mouvement dansé.

Il serait donc passionnant de suivre la pièce au fil des représentations jusqu’au moment où le mouvement va finir par ne plus être étranger, trahissant le principe même du dispositif. Comment Vincent Dunoyer va-t-il réagir à l’évidence qui s’installe dans les corps et risque de lisser les aspérités, de colmater les respirations de la pièce?

Vincent Dunoyer, Encore
— Conception, chorégraphie: Vincent Dunoyer
— Interprétation: Eva Baumann, Helena Golab, Dolores Hulan, Tuur Marinus, Guillem Mont-de-Palol
— Matériel chorégraphique: Anne Teresa de Keersmaeker, Etienne Guilloteau, Raimund Hoghe, Steve Paxton, the Wooster Group, Wim Vandekeybus
— Lumière: Hans Meijer
— Costumes: Anne-Catherine Kunz

Wen-Chi Su, Loop me
— Conception, chorégraphie, scénographie, interprétation: Wen-Chi Su
— Son: Yung-Ta Chang
— Vidéo: Chien-Bu Yeh
— Lumière: Yi-Chung Chen, Wen-Chi Su
— Costume : Arco Renz

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