ART | CRITIQUE

En voyage

PMaxence Alcalde
@12 Jan 2008

L’exposition «En voyage», en partie conçue par l’artiste Pedro Cabrita Reis, propose un voyage éclectique à travers un choix d’œuvres sans relations apparentes de deux générations d’artistes contemporains portugais.

«En voyage» n’est pas une exposition qui prend position pour les juilletistes ou les aoûtiens, marronnier estival que les journaux en mal d’actualité ne manqueront pas de nous resservir durant l’été. L’exposition, dont le commissariat a été en partie confié à l’artiste Pedro Cabrita Reis, nous invite plutôt à un voyage éclectique à travers un choix d’œuvres que rien ne rassemble a priori. Présentant deux générations d’artistes, «En voyage» propose un périple à travers la création portugaise actuelle.

L’exposition «En voyage» se compose d’une sorte de rétrospective d’une vingtaine d’années de création de Ana Jotta. Les vingt œuvres exposées au Plateau constituent un mélange des genres, un refus des styles, une série de sauts «du coq à l’âne» dans la lignée de Marcel Broodthaers. Une œuvre assurément difficile à résumer…

On rencontre des installations proches du ready-made comme Roger (1995) où l’artiste suspend au mur un rouleau de serviette en tissu semblable en tous points à ceux que l’on trouve dans les toilettes publiques. Le déroulement de la serviette fait apparaître des broderies qui évoquent des couples d’humains aux têtes de rat. Se faisant face à face, l’un regardant dans le slip de l’autre, le couple atypique questionne les genres (féminin, masculin), mais aussi les espèces (humain, inhumain, post-humain). L’hybridation loufoque s’invite alors dans notre quotidien dans ce qu’il a de plus trivial.

Toujours dans la même verve, Jota/«J» propose une série de bougies tordues posées sur un présentoir. Symbole phallique s’il en est, la scène rappelle néanmoins l’ambiance particulière des églises. Malgré un titre énigmatique — l’œuvre renvoie à une forme d’autoportrait —, Jota/«J» évoque davantage une ambiance d’érotisme moite et suave qu’on ressent dans certains lieux de prière de la péninsule ibérique.
Les trois grands dessins de Jorge Quieroz font le lien entre l’œuvre de Ana Jotta et celles de la jeune génération. Exécutés sur de grands formats, ces élégants dessins proposent des scènes aux contours flous, empreintes d’un certain mystère. Entre paysage et scène de genre, les Untitled (2004 et 2005) s’imposent comme des récits picturaux entre une étrangeté à la Bosch et un art de l’effacement digne des estampes japonaises.

La vidéo de Rui Calçada Bastos The Last Evidence of the Drowning One left With Thought of Dissolution and Gloom invite, quant à elle, à la méditation. Un homme se tient debout face à une flaque d’eau dans laquelle seul son reflet apparaît. La vidéo projetée verticalement s’accompagne d’une bande-son inquiétante. À l’image, rien ne se passe concrètement, mais Rui Calçada Bastos parvient à ménager le suspens. Au moment où le spectateur sera hypnotisé, la silhouette disparaîtra…

Dans un recoin du Plateau, Noé Sendas a placé un homme vêtu de noir, la tête dans ses mains, qui tourne le dos aux visiteurs (Versus, 2005). Face à l’homme qui nous cache son visage, apparemment empreint d’une mélancolie morbide, plusieurs miroirs aux formes géométriques variées sont accrochés au mur.
Si la première impression face à Versus était le malaise, notre jugement change en observant l’accrochage des miroirs devant lui. Alors que les différents miroirs semblaient aléatoirement disposés sur le mur, le miroir perché dans un angle nous met sur la piste de l’accrochage de la «Dernière exposition futuriste 0,10» (Petrograd, 1915). C’est lors de cette exposition que fut présenté — lui aussi dans un angle — le fameux Carré noir sur fond blanc de Casimir Malévitch, pièce maîtresse de l’œuvre du suprématiste. Versus apparaît alors comme un remake tragique de l’exposition de 1915. Et on ne peut s’empêcher de penser à la phrase du poète suprématiste Andreï Belyï: «Et soudain l’absence d’objet fait son entrée dans l’art»…

Ana Jotta
— Rua Ana Jotta, n.d. Pierre toponymique gravée. 43 x 58 x 3 cm.
— Jota/«J», n.d. Installation.
— Roger, 1995. Installation.

Carlos Roque
— Harmónico. Loving Guitars, 2001. Encre sur papier. Dimensions variables.

Jorge Queiroz
— Sans titre, 2006. Technique mixte sur papier. 163 x 152 cm encadré.

Nuno Cera
— The Lost Soul, 2005, Vidéo.

Noé Sendas
— Versus, 2005. Installation. Dimensions variables.

Rui Calcada Bastos
— The Mirror Suitcase Man # 1, 2004. Photo.
— The Last Evidence of the Drowning One left With Thought of Dissolution and Gloom, n.d. Vidéo.

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