PHOTO | CRITIQUE

En marchant

PSusana Dobal
@16 Déc 2013

Hamish Fulton parcourt depuis 40 ans le monde à pied. À Sète, il présente photos, vidéos et wall paintings où textes et images monumentales se combinent pour nous faire éprouver son expérience de la nature. Cette exposition magistrale est la plus importante jamais organisée d’Hamish Fulton en France.

Un pas après l’autre, après l’autre, après l’autre. Est-il possible de faire une exposition et même de poursuivre l’œuvre d’une vie entière consacrée à la marche? Depuis les années 1970, l’artiste britannique Hamish Fulton travaille essentiellement en marchant dans différents endroits du monde. Il en tire des photos, «wall paintings», dessins, cartes, mots imprimés sur les murs et les images. Le Crac Languedoc-Roussillon, à Sète, l’a invité à faire une marche dans les Pyrénées dont le résultat est maintenant exposé sous la forme d’une des plus grandes expositions de l’artiste en France.

Il ne s’agit pas d’une représentation de la marche, ni d’un simple enregistrement de son parcours, mais d’une nouvelle mise en scène de cette marche de 23 jours de l’Atlantique à la Méditerranée en passant par la France et l’Espagne. Hamish Fulton ne fait pas de Land Art, ni de performance, ni de poésie concrète. Il touche un peu à chacun de ces domaines en produisant une réflexion sur le paysage, le lieu du corps dans la nature et la politique.

A Sète, son défi a consisté à faire «marcher» ensemble tous ces enjeux sur les murs d’un blanc éclatant du centre d’art, dans ses salles amples aux plafonds hauts, dans ses couloirs et ses escaliers dont la dynamique tranche avec le statique «white cube» des galeries. Il s’est agi de scander une marche au sein même de l’architecture, elle aussi convoquée pour accueillir le lexique visuel d’Hamish Fulton: les mots, les couleurs, la photographie, le dessin, les cartes.

Comme les artistes du Land Art, Hamish Fulton réalise son œuvre dans la nature, mais il prend soin de souligner sa différence. L’une de ses œuvres exposée à Sète proclame This is not land art. En effet, Hamish Fulton ne laisse pas de traces de son passage dans le paysage, ses sculptures sont plutôt des pierres trouvées sur le chemin, qui sont photographiées, exposées et assorties de mots évoquant la marche accomplie.

Hamish Fulton, dont le corps est l’outil principal de son œuvre, est également proche de la performance. Mais ses marches, qui peuvent se dérouler dans des espaces urbains en présence d’autres personnes, sont le plus souvent solitaires, sans public. Et surtout, l’œuvre ne se limite pas au seul geste de marcher, elle s’accomplit sous la forme d’une recréation et d’une exposition de la marche au moyen de mots soigneusement choisis, de photos, de dessins, de cartes, d’une palette rigoureuse de couleurs et d’un projet graphique élaboré qui rapproche cette fois l’œuvre d’Hamish Fulton de la poésie concrète.

Différents moyens de l’art contemporain et de la culture sont ainsi mis à contribution pour évoquer une perception de la nature: des rivières et des montagnes énumérées, des chemins photographiés, des parcours retranscrits sur des cartes, des images géantes qui suggèrent l’immensité des paysages. Le début et la fin des parcours sont souvent ponctués par la Lune, ce que l’exposition met en évidence, notamment au travers de quatre œuvres distribuées dans plusieurs salles: The Second Full Moon of May (1988); Seven One Day Walks (1999); Counting 49 Barefoot Paces (Planet Earth) (2010); A 31 Day Road Walking Journey from the River Rhone at Valance to the River Danube at Vienna, (1994). Si bien que d’une salle à l’autre, on rencontre la lune dont la réapparition rythme aussi l’espace et notre propre parcours dans l’exposition.

Quant aux hauts et vastes murs qui accueillent d’immenses wall paintings (comme Mountain Skyline, long de 21 m et haut de 5,5 m), ils recréent la sensation de disproportion du corps évoluant dans la nature. En outre, les mots à sept lettres contenus dans le wall painting Chinese Economy (2009) ou la récurrence du chiffre sept — comme dans No Talking For Seven Days (1988) et Seven One Day Walks (1999) — contribuent eux aussi, avec la Lune, à créer de salle en salle, et d’œuvre en œuvre, des rythmes, des cycles et des résonances discrètes, qui inscrivent subrepticement dans notre propre corps un tempo de marche.

Ces marches n’ont toutefois rien des rituels mystiques déconnectés du monde. En 2011, Hamish Fulton a organisé à Londres une marche au sein de la Tate Gallery pour protester contre l’incarcération de l’artiste chinois Ai Weiwei. À Sète, Google Champa Tenzin (2007) fait référence au moine tibétain, militant pour l’indépendance du Tibet, qui a été assassiné dans sa prison. D’autres œuvres d’Hamish Fulton ont pour contexte la question tibétaine.

Au deuxième étage, la vidéo La Marche de Margate (2010) montre sur deux écrans une marche collective organisée par Hamish Fulton. Sur un écran se succèdent des plans de personnes qui marchent autour d’une grande piscine carrée au bord de la mer, à Margate en Angleterre. Sur l’autre écran, la même scène est vue d’un point fixe plus distant. Les participants devraient marcher en silence, maintenir la distance d’un bras entre eux et tourner dans le sens des aguilles du montre. Sur le premier écran, un mouvement collectif homogène fait écho au mouvement répétitif des vagues sur le sable. Sur le deuxième écran, la vue éloignée montre la piscine avec les marcheurs, des voitures qui passent, d’éventuelles mouettes qui volent au-dessus de la scène. Après un certain temps, tout semble participer d’un seul rythme, ou d’un seul cycle urbain. La démarche d’Hamish Fulton semble là, acquérir une cohérence plus vaste, puisque il s’agit toujours de synchroniser divers éléments afin de recréer son expérience du paysage avec une économie de moyens.

Les immenses «wall paintings» composées de mots choisis qui ont le même nombre de lettres, les montagnes réduites aux noms et contours simplifiés, les espaces vides et les phrases réduites aux mots précis, les traits irréguliers qui évoquent les chemins et les rivières, la lune et sa double circularité en temps que pleine lune et en temps que cycle, les parcours qui obéissent à des formes géométriques, l’économie de couleurs et de tonalités: un pas après l’autre, après l’autre, Hamish Fulton se dépouille de tout excès pour mieux englober ce qui est autour avec un minimum d’éléments qui ne subsistent que par leur justesse. Conclusion qui peut être aussi à la racine de son engagement avec le bouddhisme tibétain: le sublime de la nature ne serait que cet appel à la fusion avec un vaste presque néant qui est aussi le Tout.

Commissaires
— Noëlle Tissier
— Muriel Enjalran

Å’uvres
— Hamish Fulton, The Second Full Moon of May / La seconde pleine lune de mai, (Japan), 1988. 704 x 558 x 0,15 cm
— Hamish Fulton, Seven One Day Walks / Sept marches d’une journée. (Japon/Ecosse), 1999. Textes muraux, vinyle, peinture. 642 x 642 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. A 31 Day Road Walking Journey from the River Rhone at Valance to the River Danube at Vienna (1994).
— Hamish Fulton. Mountain Skyline / La ligne d’horizon des montagnes (Pyrénées), 2012. Textes muraux, vinyle, peinture. 2130 x 546 x 0,15 cm.
— Hamish Fulton. Chinese Economy / Economie chinoise (Népal/Tibet), 2009. Vinyle Peinture. 557 x 543 x 0,15 cm.
— Hamish Fulton. No Talking For Seven Days / Ne pas parler pendant sept jours, (Scotland/Ecosse), 1988. Vinyle Peinture.100 x 125 x 0,15 cm.
— Hamish Fulton. Mountain Skyline / La ligne d’horizon des montagnes, 2011. (Népal). Textes muraux, Vinyle, Peinture, 1565 x 546 x 0,15 cm.
— Hamish Fulton. 32 Walks Map 1971-2012 / Carte des 32 Marches (Europe), 1971-2012. 506,7 x 546 x 0,15 cm.
— Hamish Fulton. Un Voyage à pied sur les routes de la Méditerranée à la Manche de Narbonne-plage à Boulogne-sur-mer (France), 1992. Textes muraux, vinyle, peinture. 155 x 684 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. Mètre, 2012. Ed. en couleur, papier Canson, Photo sur aluminium.
— Hamish Fulton. Google Champa Tenzin, (Tibet), 2007. Vinyle peinture. 250 x 149,25 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. This is not Land Art / Ce n’est pas du Land Art (USA), 2004. Vinyle Peinture. 898 x 523,8 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. Counting 49 Barefoot Paces (Planet Earth) / Compter 49 pas pieds nus (planète terre), 2010. Vinyle peinture. 616 x 600 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. Footpath (Pyrénées) / Sentier, 2012. Framed Photo-Text. 76 x 94 x 3 cm.
— Hamish Fulton. Boulder (Pyrénées) / Rocher, 2012. Framed photo-text. 91 x 79 x 3cm
— Hamish Fulton. Walking East (Pyrénées) / Marcher vers l’est, 2012. Framed Photo-Text. 91 x 79 x 3 cm
— Hamish Fulton. Walking Into The Distance Beyond Imagination (Europe) / Marcher la distance au-delà de l’imagination, 2002. 1916 x 280 x 0,15 cm
— Hamish Fulton. Margate Walking / La Marche de Margate, 2010. Two channel video on plasma screens, 13 min 15 sec

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