PHOTO

En 4e vitesse

POrnella Lamberti
@21 Oct 2010

La galerie Loevenbruck présente des toiles réalisées par Jean Dupuy au milieu des années 60, quand il s’essayait à la peinture gestuelle lyrique-abstraite, avant de se consacrer à la performance. Toujours avec cette même question: comment le temps façonne-t-il les formes?

Jean Dupuy peint de grandes toiles, format paysage ou portrait, en blanc ; un blanc rugueux dont l’impression de perfection s’atténue au fur et à mesure que l’on se rapproche des tableaux. Puis, d’un mouvement que l’on suppose animal, impulsif, grandiloquent, il éclabousse la toile de quelques grands traits colorés. Souvent de couleurs aussi primaires que le geste: rouge, jaune, bleu. Et noir.

Des toiles peintes en quatrième vitesse donc, qu’il ne prend même pas le temps de nommer: N°71, N°87… Les numéros s’enchaînent. Dans notre esprit, le fantôme de Jackson Pollock, penché sur ses toiles gigantesques au sol, mettant en Å“uvre son «action painting» primitive, urgente, nécessaire, apparaît.

Pourtant, à y regarder de plus près, rien n’est dû au hasard dans la peinture lyrique-abstraite de Jean Dupuy. Les coulées de peinture sont bien trop nettes… pour être honnêtes ; elles sont en réalité hyper maîtrisées, dessinées, pensées. Leur agencement même évoque l’esprit du Zen: des obliques plutôt centrées, des verticales assumées, des espaces laissés vierges. L’harmonie qui se dégage des toiles suggère un art consommé des pleins et des vides.

Certains tableaux rappellent d’ailleurs des Å“uvres calligraphiques: sur de petits formats, une encre bleu sombre s’écartèle en giclées fines. La surface du papier est griffée et éclaboussée, savamment ponctuée de traits et de points. L’on est face à des partitions. N°71, N°87… Des partitions de notes un peu sauvages, qui ne sont pas sans rappeler les Bleu de Joan Miró.

Jean Dupuy réalise donc des toiles paradoxales: faussement apologétiques de la vitesse, du flux, du débordement, de l’aléatoire, elles sont en réalité et a contrario, produits d’une volonté très marquée. Et loin d’être réalisées «en quatrième vitesse».

Jean Dupuy est surtout réputé pour ses happenings des années 70. Cette période picturale, entre 1964 et 1966, préfigure-t-elle son travail de performeur? En effet, les performances collectives qu’il organise jusqu’en 1979 jouent également sur la notion du temps et de ses contraintes.
Par exemple, en 1978, au Musée du Louvre, Jean Dupuy réunit quarante artistes qui réalisent chacun une performance d’une minute, Performances/Minute.
Certaines de ses installations travaillent également la même notion, telle Cône pyramide, en 1968: les battements amplifiés d’un cÅ“ur soulèvent la poussière contenue dans un parallélépipède, formant une sculpture mouvante. Les battements de cÅ“ur, symboles du temps qui passe…

Comment le temps façonne-t-il les formes? Jean Dupuy, via l’abstraction lyrique, la performance ou les installations, ébauche une réponse à cette question.

— Jean Dupuy, N°71, 1965. Acrylique sur toile. 200 x 140 cm
— Jean Dupuy, En 30 secondes, 1965. Acrylique sur toile. 199 x 160,5 cm
— Jean Dupuy, N°87, 1966. Acrylique sur papier. 66,5 x 102 cm

AUTRES EVENEMENTS PHOTO