PHOTO

Empty Holes

Nous sommes invités dans une pièce en ombres chinoises. Est-ce pour d’ores et déjà dénoncer la supercherie, les faux-semblants et l’absurde cocasserie de nos histoires de couple ? Mark Tompkins nous plonge dans une intimité concrète et totale qui touche à nos ambiguïtés et à nos désaveux. Un large voile traverse la scène, le chorégraphe dissimulé derrière n’offre que son ombre mouvante et fugitive, il reste insaisissable. Ce voile devient projecteur catalytique de ses émotions, comme un écran de vapeur qui masque autant qu’il révèle, qui rapproche autant qu’il éloigne, dans ce paradoxe incessant de ce qu’on rend visible pour mieux dissimuler et de ce que l’on donne à voir bien malgré nous. Que cacher encore derrière la transparence ? Ou comment offrir à lire toutes ses obsessions, ses hantises, ses failles ?

Mais Mark Tompkins va au-delà car il propose plus que sa propre image révélée, il crée deux personnages : Doris et John. Ces deux personnages accompagnent la carrière du chorégraphe américain depuis 30 ans. Le personnage de Doris est née dès 1976, avant même la création d’Empty Holes. Deux ans plus tard, John, son partenaire, est apparu. Depuis, dans un grand nombre de ses pièces, il est question d’explorer la relation de ce couple, à travers l’incarnation multiple de ces deux personnages, créant des effets de double sur la scène.

Dans cette pièce, le couple est en crise. S’agit-il encore d’amour quand les mots d’amours sonnent à vide et sont à réinventer ? Dans l’intimité de John et Doris, dans le néant de leur cuisine, ou la torpeur de leur canapé poussiéreux, nous devenons témoins oculaires et passifs d’une histoire qui se défait. La décomposition du couple, une conversation solitaire entre deux personnes qui s’aiment, se sont aimées, le quotidien qui les enlace l’un à l’autre et déjà la fuite irrévocable. Les mots de l’un se confondent avec les mots de l’autre, ils traduisent les mêmes maux de part et d’autre. Doris et John, un dialogue d’air et de plastique dans une proximité rassurante. C’est une histoire qui ressemble à toutes les autres, peut-être y a-t-il déjà quelqu’un d’autre dans la vie de Doris ou dans celle de John.

Un des thèmes privilégiés du chorégraphe s’incarne dans la notion de miroir, miroir de soi, projection de l’autre. Il traduit l’idée,  qu’intrinsèquement, la relation humaine s’appuie sur l’incorporation de pensées, paroles, manières d’être d’autres nous-mêmes. C’est à travers une expansion de soi en l’autre que la relation s’affirme. À travers ce dialogue qui entremêle les voix de Doris et John, les fusionne, chacun répétant les mots de l’autre, Mark Tompkins nous offre un beau moment de lucidité et de dérision dans une verve sans gravité.

 

— Concept, texte, chansons* et interprétation : Mark Tompkins (*sauf : Non je ne regrette rien : Vaucaire/Dumont ; Strangers in the Night : Kaempfert/Singleton/Snyder ; Am I Blue : Clark/Akst ; Last Dance : Jabara)
— Collaboration à la mise en scène : Gérard Gourdot
— Lumière : Alain de Cheveigné Â