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Emmanuel Saulnier

«Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger»: suivant les mots de l’anthropologue Jean-Pierre Vernant, Emmanuel Saulnier a invité onze jeunes artistes à concevoir une exposition collective sur le thème de la place. L’énoncé de leurs lieux d’origine, de passage ou d’installation (Portugal, Inde, Allemagne, Ukraine, Ecosse, Chili, Serbie, Finlande, Turquie) fait déjà sens...

Quelle est l’origine de l’exposition «Place!» qui se tient à la galerie Edouard Manet de Gennevilliers (8 nov.-17 déc. 2011)?
Emmanuel Saulnier. J’ai rencontré chacun des artistes que j’invite à exposer, au cours de mon enseignement dans les écoles des Beaux Arts de Nantes, Nancy, Dijon et Paris. Depuis 1988 donc. Tous ont montré très vite une qualité prospective et une propension évidente à ce que l’anthropologue Jean Pierre Vernant nommait, dans son essai éponyme, La traversée des frontières. Il avait employé précisément ces mots, que citait Le Monde au lendemain de sa mort: «Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger. Se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre». Je les reprends volontiers aujourd’hui.

Où situez-vous alors «la place» et qu’évoque-t-elle pour vous?
Emmanuel Saulnier. C’est la question, précisément. C’est d’ailleurs, étonnamment, ce qui fait aujourd’hui écho en Espagne, en Tunisie, en Libye, en Egypte, en Israël… «Place!» exclame la conscience réelle par certains, du renouvellement nécessaire d’un lieu réel et symbolique. Il exprime un mouvement qui, à son tour, prend, recréé et investit la place autrement.
Plus personnellement, j’ai formulé et montré ce que m’évoque le concept de «place» lors de mon exposition de 2004 intitulée «Place blanche, Place noire» au Centre Pompidou. La pièce Place noire était constituée d’un grand assemblage de morceaux d’asphalte qui provenaient de la chaussée du Louvre et recouvraient sombrement la cour entière de l’Atelier Brancusi. Elle constituait ainsi un nouveau socle et un nouveau sol pour les visiteurs. D’une place l’une, une place devenue autre. En relisant l’entretien réalisé avec la conservatrice, je précisai: «Chez Brancusi, il y a une inspiration du lieu, une économie du voyageur dans le travail qui l’ont conduit à avoir une grande intelligence du déplacement. Je suis très concerné par cette compréhension d’une respiration concomitante de l’oeuvre, du lieu et du temps qui rompt avec tout académisme de l’objet ou de l’installation». Cela m’a certainement inspiré pour cette nouvelle proposition d’exposition collective.

Il n’y a aucun lien formel entre ces onze artistes.
Emmanuel Saulnier. En effet, l’autonomie et la diversité de leurs pratiques sont évidentes, autant que leur grande liberté de geste et de projet. Pour autant, ils montrent aussi une très grande exigence dans la réalisation de leurs oeuvres – certains d’ailleurs comme Olivier Sévère et Sébastien Gschwind sont invités à chercher et à produire par la Fondation d’entreprise Hermès.
La plupart offre dans sa démarche «une place» à autrui. Jean-François Courtilat a créé la Galerie RDV à Nantes, Sébastien Gschwind l’atelier de création transdisciplinaire «Happy Few» à Berlin, Andrés Ramirez et Elise Vandewalle présentent en ce moment une exposition de jeunes artistes serbes, Steeve Bauras travaille aussi sa photographie avec les musiciens de la «scène noise»… Tous génèrent d’une façon ou d’une autre ce mouvement et cette attention individuels et collectifs.

Pour certains, la démarche paraît autrement solitaire…
Emmanuel Saulnier. En fait, le rapport social joue différemment pour tous. Guillaume Lemarchal s’immerge dans les populations d’Ouzbékistan ou d’Ukraine pour photographier des paysages isolés. Laura Huertas Millán, originaire de Colombie, reconstitue dans sa vidéo une jungle disparue où paraissent des créatures hybrides. Julie Chabin réinvestit espaces et formes d’autres civilisations au cours de ses voyages en Inde ou au Mexique. Sarah Derat interroge la scène de la justice aux Etats-Unis; condamnés à mort et victimes sont conviés dans des mises en espace…

Vous tenez à dire que vous n’êtes pas commissaire de l’exposition…
Emmanuel Saulnier. Oui, car j’ai seulement choisi et convié à exposer onze artistes à la galerie Édouard Manet, et cela à l’invitation de son directeur, Lionel Balouin. En leur proposant une thématique précise, je leur ouvre aussi la place. Ils conçoivent leur exposition en fonction de ce questionnement. Le choix de leurs oeuvres, la position qu’ils prennent et l’entente qu’ils créent font sens. J’ai enfin confié le texte de l’exposition à l’un d’entre eux, Jean-Baptiste Mognetti, qui consacre une part de son travail à la réflexion esthétique et à l’écriture sur l’oeuvre d’autres artistes.

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