ART | CRITIQUE

Ecosysthème

PAnne Lehut
@24 Sep 2011

Mathieu Cherkit peint de façon réaliste son environnement quotidien. Mais le trouble entre réalisme et illusion est constant dans ses toiles. Dans une palette toujours vive, aux accents presque pop, sa peinture très ornementale fourmille de détails. Plus on l’observe, plus on doute.

Le parcours de Mathieu Cherkit force à se replonger dans la grande Histoire, celle qui influe sur les arts. Après les Beaux-Arts de Nantes, il va étudier à l’Académie des arts visuels de Leipzig, notamment auprès de Neo Rauch. Il se frotte ainsi à la nouvelle école de Leipzig dans laquelle, la ville étant située dans l’ex-RDA, les artistes entretiennent un rapport complexe avec le réalisme socialiste. Toujours est-il que la figuration s’installe durablement à l’Académie et l’enseignement reste très marqué par la technique des anciens maîtres.

Fidèle à cet enseignement, Mathieu Cherkit peut être considéré comme un peintre figuratif, même si un jeu entre abstraction et figuration fait de sa peinture un objet propre à troubler.
Mathieu Cherkit peint son environnement quotidien: la maison familiale en meulière de Saint-Cloud. Mais loin de tout photoréalisme sur la vie en banlieue, sa peinture est bien plus étrange, assez maîtrisée pour déconstruire ce qui serait si simple à construire.

Ainsi cette grande toile composée de trois panneaux au titre éloquent Où sommes-nous? Il s’agit d’une scène d’intérieur. En bas à droite, un escalier semble jouer le rôle de repoussoir, un procédé ancien qui permet d’accentuer la profondeur et d’impliquer davantage le spectateur dans la composition. La géométrie de cet escalier est à la fois rigoureuse et impossible.
Mais l’espace, si familier, est pourtant incompréhensible. Comment passe-t-on de cette grande pièce à l’autre, au papier peint fleuri? Les deux toiles ne se joignent pas parfaitement. Il manque quelque chose, et pourtant c’est presque imperceptible.

Très souvent, c’est la perspective — bien réelle, mais bancale — qui fragilise l’espace représenté. Les parquets ou autres carreaux de salle de bain deviennent de véritables outils à créer de l’étrangeté, comme dans Full Moon ou Caducée vaudou.
C’est parce que la peinture de Mathieu Cherkit est résolument figurative que l’introduction de quelques éléments abstraits, formes géométriques sans profondeur, fonctionne comme une perte d’équilibre. Plutôt que posées au sol, ces formes viennent se sur-imprimer sur la composition — mais jamais assez brutalement pour constituer de véritables intrus.

La figure humaine n’est pas absente des toiles de Mathieu Cherkit. Dans La Danse jaune (on devine une référence à Matisse), deux personnages habitent la pièce, plus contemplatifs qu’actifs, attirés vers un espace extérieur à celui qui est représenté, et pour l’un tournant le dos.
Cette toile a pour autre intérêt de révéler la matière picturale de Mathieu Cherkit. Si, en effet, l’image peut sembler lisse, en s’approchant on découvre combien les couches sont épaisses. Dans le haut du visage d’un des deux personnages, la couche est si épaisse qu’elle tient sans prendre appui sur la toile, continuant au-delà du tableau.

Le trouble entre réalisme et illusion est constant. Dans une palette toujours vive, aux accents presque pop, Mathieu Cherkit offre une peinture très ornementale, qui fourmille de détails. Plus on l’observe, plus on doute. Ces coulures: reproduction fidèle d’un mur mal peint, ou goutte tombée d’un pinceau dans l’atelier? Parfois, c’est aussi bien de ne pas savoir…

Å’uvres
— Mathieu Cherkit, Full Moon, 2011. Huile sur toile. 195 x 238 cm
— Mathieu Cherkit, Caducée vaudou, 2011. Huile sur toile. 195 x 288 cm
— Mathieu Cherkit, Le Cimetière des éléphants, 2010. Huile sur toile. 200 x 320 cm

 

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