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Dynasty. Robin Meier

Mêlant théories scientifiques et technologies de pointe, les deux artistes-musiciens, Robin Meier et Ali Momeni, traduisent les comportements du vivant en morceaux acoustiques. Leurs travaux donnent une nouvelle fraîcheur à la question, souvent débattue, de l’interaction entre l’homme et la machine.

Elisa Hervelin. Peux-tu décrire les deux pièces sonores que tu exposes et que tu as réalisées en collaboration avec Ali Momeni: quels sont leurs principes et les dispositifs techniques mis en œuvre?
Robin Meier. Au Musée, l’œuvre intitulée A Tentative Call to the Other est exposée devant la Fée Electricité de Raoul Dufy, avec laquelle elle entre en résonance. C’est une forêt de vingt-cinq haut-parleurs suspendus au plafond et qui diffusent plusieurs couches de sons. La première couche de sons provient des données transmises par un satellite européen, appelé CoRoT, spécialisé dans la sismologie stellaire. J’ai accès aux données obtenues par ce satellite, qui mesure les vibrations lumineuses des étoiles, et ensuite je les traduis en vibrations acoustiques. La seconde couche provient d’une antenne locale, juchée sur le toit du musée, qui capte les activités électromagnétiques de l’atmosphère dans tout l’hémisphère Nord. Par exemple, s’il y a un orage en Inde, on peut entendre son craquement dans l’installation du Musée. La troisième couche de sons a été prélevée en Inde et renvoie directement au domaine de la superstition: il s’agit d’interviews d’oracles, d’astrologues et d’enregistrements de rituels.

Au Palais de Tokyo, l’installation interactive, qui s’intitule Truce: Strategies for Post-Apocalyptic Computation, tire sa source d’un article scientifique traitant du bourdonnement des moustiques: les chercheurs ont observé que le moustique mâle accorde sa fréquence sur celle de la femelle pour s’accoupler en vol. Ca m’a donné envie de faire des recherches et j’ai intégré un laboratoire d’entomologie au Minnesota pour essayer de contrôler le son émis par le moustique. L’installation est faite avec trois moustiques vivants, dont le bourdonnement interfère avec le son d’un chant traditionnel indien: ils croient à un partenaire potentiel et ajustent leur bourdonnement sur le chant. C’est comme si le moustique tombait amoureux du son de la machine. Un micro amplifie ce chant et une caméra projette au mur l’image du moustique en direct. Enfin, une ampoule suspendue indique l’activité du moustique, par une intensité lumineuse variable.

Cette installation fait appel au vivant, comme souvent dans tes travaux. Je pense notamment à l’installation Experiment in Fish / Machine Communication (2007) où tu mets en scène des poissons. Comment fais-tu face aux questions de maintenance, dans une exposition de si longue durée?

Robin Meier. On a mis en place un partenariat avec l’Institut Pasteur, qui élève pour nous une colonie de moustiques. Ce qui permet de les remplacer régulièrement, une fois qu’ils se sont échappés ou qu’ils sont morts. C’est grâce au travail quotidien des médiateurs du Palais de Tokyo que ce type d’œuvre est possible.

Ton travail artistique reprend des outils et des théories scientifiques. Comment envisages-tu les rapports entre la science et l’art?
Robin Meier. L’approche artistique est plus subjective, implicite, intuitive tandis que l’approche scientifique est plus rigoureuse, déterministe. Mais on essaie de casser les divisions entre les deux, en les faisant communiquer. On fait des aller-retour entre leurs méthodes respectives, ce qui en fait des moteurs l’une pour l’autre.
Je m’intéresse au rapport de l’homme avec son environnement, aux manières et aux outils qu’il met en place pour l’observer. Chaque projet nécessite pour moi d’intégrer un vocabulaire spécifique et des connaissances, pour communiquer avec les spécialistes.

En retour, mes travaux artistiques peuvent aussi apporter quelque chose au domaine scientifique. Un laboratoire d’entomologie m’a invité à présenter mes travaux sur le comportement d’ajustement de fréquence du moustique, qu’il ne connaissait pas. Cela pourrait lui être utile dans ses recherches sur le contrôle des maladies transmises par les moustiques. L’Observatoire de Paris est intéressé par ma méthode de traduction acoustique, qui lui permettrait d’affiner sa propre méthode. Il y a donc un pont dans les deux sens.

Tes œuvres jouent sur la rencontre du vivant et de la machine. Que recherches-tu dans cette confrontation?

Robin Meier. Le moustique réagit à son environnement, en apportant une réponse en retour d’un signal extérieur. On l’utilise comme un synthétiseur en quelque sorte. Il y a une sorte de computation. Ce qui m’intéresse, c’est la cognition, la façon dont on utilise notre environnement comme outil pour notre propre pensée.

Dans l’installation Truce, on est dans un moment de trêve. L’environnement est complètement contrôlé et permet la collaboration entre trois acteurs: l’homme, la machine et le moustique. Je m’intéresse beaucoup à la communication et à ses signaux. Ce sont les allers-retours entre des formes apparemment opposées que je veux mettre en évidence. Auparavant, j’ai mené plusieurs recherches sur l’intelligence artificielle et sur le cyborg, qui m’ont amené vers ce genre de travail.

Pourquoi privilégies-tu des citations musicales issues de la culture indienne?
Robin Meier. Dans les deux pièces, on entend en effet des chants traditionnels de l’Inde du Nord, appelés Dhrupad. J’ai rencontré Ali Momeni pendant nos études de musique électronique à Berkeley. Tous les deux, nous avons un grand amour de la musique indienne. De plus, c’est le pays des contrastes par excellence et c’est précisément cette notion qui m’intéresse. Comme peu d’autres pays, l’Inde a une capacité incroyable d’intégrer toutes les nouveautés technologiques aux traditions les plus ancestrales. Par exemple, les oracles te prédisent ton futur à partir d’écritures qui ont des milliers d’années et ensuite te donnent un CD-Rom où tout est enregistré ! Ils font des allers-retours sans problème entre la technologie la plus récente et la tradition. Mes pièces cherchent également à créer des ponts entre ces deux notions. La technologie peut simuler des comportements très archaïques.

Dans l’exposition «Dynasty», as-tu découvert des artistes dont tu sens les préoccupations proches des tiennes?

Robin Meier. Alain Della Negra et Kaori Kinoshita ont invité un chaman à faire un rituel. J’aime qu’ils transplantent ça dans le musée, un peu comme sous un microscope. J’ai une approche similaire: je décontextualise des méthodes scientifiques pour les transplanter dans un contexte artistique.

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