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Dynasty. Bettina Samson

Pour l’exposition «Dynasty», Bettina Samson présente deux installations qui explorent la question du temps. Elle choisit des sources documentaires surinvesties de récits pour les transposer dans des formes énigmatiques: les expériences des Becquerel sur la radioactivité en 1848, et un photogramme d’un film de Sam Peckinpah.

Elisa Fedeli. L’installation que vous présentez au Musée d’art moderne est constituée d’une sculpture, de deux grandes photographies et d’un film adhésif translucide. Tous ces éléments sont inspirés par les découvertes scientifiques d’Edmond et Henri Becquerel, sujet qui est à l’origine de plusieurs de vos pièces depuis 2008. Qu’est-ce qui retient votre attention dans ce sujet?
Bettina Samson. A l’origine, c’est le caractère totalement ouvert des expériences des Becquerel qui m’a plu. Au moment de leurs découvertes, on ignorait les conséquences que l’on connaît aujourd’hui à propos de la radioactivité. J’ai souhaité saisir cet instant où tous les possibles sont encore inscrits dans une expérience qui n’a pas d’autre finalité qu’elle-même.

Comment ce sujet inspire-t-il votre processus de création?
Bettina Samson. En 1848, Edmond Becquerel a fait la première photographie du spectre solaire, alors que la photographie couleur n’existait pas encore. J’ai souhaité retranscrire cette source en reconstituant artificiellement son dégradé de couleurs violacées sous deux formes: une carotte géologique posée sur des tréteaux et un film translucide collé sur une des fenêtres du Musée.
Ces éléments sont accompagnés de deux photographies de grand format, qui évoquent des sortes de constellations ou la vue nocturne d’une ville. Celles-ci sont inspirées des expériences d’Henri Becquerel: j’ai essayé de suivre le protocole qu’il avait mis en place pour découvrir la radioactivité. Dans des boîtes et dans l’obscurité complète, j’ai exposé des plans films aux radiations de poussière d’un minéral radioactif, qu’on appelle la «penchblende». Ce n’était pas la première fois que j’expérimentais ce protocole pour créer des photographies. J’ai finalement remarqué un dépôt de poussière au fond des boîtes. Grâce à une exposition plus longue allant de 2 à 3 mois et à un agrandissement du résultat, j’ai pu obtenir ces sortes de constellations, qui sont à vrai dire des réactions nucléaires à une autre échelle.

En dehors des sciences, le cinéma est un autre domaine qui vous inspire. Les portraits présentés dans l’installation du Palais de Tokyo ont pour source un photogramme du film La Horde sauvage de Sam Peckinpah. Quelles raisons ont motivé le choix de ce film précisément?
Bettina Samson. Ces portraits en buste représentent Warren Oates, un acteur de second rôle qui a souvent joué les anti-héros dans les films de Monte Hellman et de Sam Peckinpah.
C’est d’abord le genre de ce film qui m’intéresse: dans les road-movies, il y a un étirement du temps et de l’espace, parfois si poussé que ces derniers finissent par devenir autonomes. La considération du temps est une notion fondamentale dans ma pratique. Dans cette pièce, j’ai voulu retranscrire un étalement spatio-temporel. L’ensemble gît sur un tapis de caoutchouc noir recyclé, de forme conique, qui évoque une route en perspective. Le photogramme est multiplié sept fois. Chaque portrait fonctionne ainsi comme un photogramme du film.
J’ai également anamorphosé les têtes dans le sens de la hauteur, de manière à retrouver l’image pelliculaire en format Cinémascope. Dans ce format particulier, pour faire tenir l’image sur la pellicule, une première lentille l’anamorphose en la réduisant en largeur au moment du tournage puis une seconde lentille la désanamorphose pendant la projection.
En plus, j’ai souhaité donner à Warren Oates l’allure crépusculaire qu’il prend dans le road-movie Apportez-moi la tête d’Alfredo Garcia de Sam Peckinpah. Du coup, on a l’impression de regarder une meute de morts-vivants dans une scène crépusculaire.

Vous avez fabriqué les portraits de Warren Oates en faïence émaillée et la carotte géologique en résine. Ce sont des techniques manuelles qui requièrent un certain savoir-faire. Que vous a appris ce travail direct des matériaux?
Bettina Samson. J’aime beaucoup l’élasticité de la faïence et la possibilité qu’elle offre d’intervenir sur la forme plusieurs heures après le tirage. Ce sont deux qualités qui m’ont permis de réaliser concrètement l’anamorphose.
En ce qui concerne la carotte géologique, j’ai procédé à l’aveuglette en coulant la résine dans un tube PVC, de façon à ne pas pouvoir prévoir le résultat. J’aime les accidents qui se produisent au cours de la fabrication. J’ai notamment accueilli avec bonheur les accidents de surface car ils rendaient bien l’idée d’altération, présente dans la photographie de Becquerel. Celle-ci avait en effet subi des dégradations chromatiques, en raison de la précarité du procédé inventé par Edmond Becquerel pour fixer les couleurs. Seuls, les violets sont bien fixés tandis que les jaunes et les verts se sont altérés plus vite.

Avec des termes tels que «forme rêvée», «mirage», «anamorphose», les titres de vos installations tournent autour de l’idée d’une perception hallucinée…
Bettina Samson. Mon travail met toujours en jeu des procédures de transformation, que ce soit d’un médium à un autre, d’une forme à une autre, d’un champ de références à un autre. En cela, le travail de Simon Starling m’a beaucoup marqué.
Parfois, je recherche une synthèse entre plusieurs formes. Dans l’installation du Musée par exemple, la forme d’une carotte géologique et celle du spectre solaire se fondent en une forme hybride, qui fige la lumière dans un matériau pour la traduire en temps.

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