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Duncan Wylie

Presque un an après l’exposition «Dynasty», qui rassemblait 40 jeunes artistes français parmi les plus prometteurs, l’un d’entre eux évoque les retombées d’un tel évènement et confie l’évolution de son travail.

Pierre Douaire. Est-ce difficile d’être peintre en France?
Duncan Wylie. Il y a un problème avec la peinture en France, alors même que ça n’existe pas dans les autres pays. Ce qui est vrai, c’est qu’il est difficile de faire entrer de la peinture dans des institutions nationales ou régionales. Dans les centres d’art, les gens sont formatés «nouveaux médias». C’est toujours une lutte dans les commissions dès qu’il s’agit de peinture.

Participer à l’exposition «Dynasty», c’est un tremplin pour un jeune peintre?
Duncan Wylie. Exposer à «Dynasty», c’était génial. C’est une plateforme qui t’amène à réfléchir. Tu rencontres des gens de haut niveau. Tes idées progressent et les projets prennent de l’importance. J’ai pu entamer des chantiers importants et relever le défi posé. Les commissaires d’exposition proposaient d’exposer conjointement au Palais de Tokyo et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. Pendant quatre mois, je n’ai pas ménagé ma peine. Je ne voulais pas proposer quelque chose de déjà existant. Je me suis mis au boulot. J’ai réalisé la plus grande toile que me permettait mon ancien atelier: presque quatre mètres d’envergure.

Quel était ton fil rouge pour l’exposition «Dynasty»?
Duncan Wylie. J’ai travaillé sur le temps. Mes tableaux installés au Musée d’Art Moderne traitaient d’un temps instantané et aussi de la durée, alors que ceux exposés en face au Palais de Tokyo synthétisaient plusieurs moments.

Quels sont les retours d’un tel événement?
Duncan Wylie. J’ai beaucoup de chance: le tableau du Radeau a figuré dans Le Monde et un autre a fait la couverture d’Art Press. C’est très très chouette. La presse dans l’ensemble a été bonne à l’exception de deux petites critiques sur le web.
Toutefois, j’aurais pensé être plus sollicité. Les contacts ont commencé quelques mois après la fin de l’exposition, en novembre 2010.

Pourquoi ne pas avoir été contacté plus tôt, à ton avis?
Duncan Wylie. Je pense qu’en France, la peinture, plus qu’un autre médium, doit prendre son temps pour se faire reconnaître. Je suis encore un junior ici. Il faut plus de temps pour s’affirmer.

Le thème de ta peinture, c’est la destruction?
Duncan Wylie. Mon travail tourne autour de la démolition, de la destruction et de la catastrophe, mais ce n’est pas si simple de le présenter de cette manière. J’utilise des photographies qui sont des images déconstruites. Plus que la déconstruction, ce qui m’intéresse dans ces objets, c’est la brèche qu’elles laissent apparaître. Il y a toujours une ouverture possible. Ces images sont comme l’espace que l’on trouve après la guerre, ce sont des no man’s land où tout est possible. C’est un terrain de jeu formidable, à la limite de l’utopie. Il est possible d’y apposer toutes les marques picturales possibles, qu’elles soient bien ou mal faîtes. C’est une terre de pratique, mais c’est aussi un terrain d’expérimentation et de recherche. Il est possible de trouver son écriture. Ces images vides de sens ne demandent qu’à être comblées. Je pense être presque au bout de cette série.

Comment abordes-tu ta nouvelle série?
Duncan Wylie. J’ai du mal à m’imposer un choix. Si l’on pense trop en amont, il me semble que la peinture est plus faible. La prise de décision doit être instinctive et émaner d’une nécessité. Il n’est pas nécessaire d’avoir un lourd bagage conceptuel pour travailler. L’important, c’est de trouver une dynamique nouvelle. Mais, pour répondre à ta question, je pense que la globalisation est un thème qui est déjà présent dans ma peinture. Je suis moi-même l’exemple de ce contraste, je suis zimbabwéen et naturalisé français, je viens de deux endroits, je parle deux langues, j’assimile la destruction avec la composition. La globalisation me semble être le terrain idéal pour opérer un glissement vers de nouveaux sujets et élargir cette esthétique de la ruine qui colle à mon travail.

Justement peut-on parler de «ruine moderne» à propos de ton travail?
Duncan Wylie. Dans mes tableaux je parle de choses que j’ai vues dans mon pays, le Zimbabwe. J’ai vu un peuple fier dépossédé de ses richesses, de ses avancées sociales, scolaires et culturelles. J’ai assisté à la ruine économique et mentale de mon pays. C’est en cela que ma peinture parle de la ruine. Elle traite au départ de la ruine d’un pays.

Pourtant pendant longtemps Mugabe incarnait l’espoir?
Duncan Wylie. Mugabe représentait tellement le progrès que j’ai triché à un test ophtalmique pour porter les mêmes lunettes que les siennes. Avant qu’il ne soit déchu, il était consideré comme le Mandela du Zimbabwe.

Ton travail sur la ruine vient de ces images du Zimbabwe dévasté?
Duncan Wylie. En 2005, il y avait très peu d’images qui filtraient, tout était contrôlé par la police et l’Etat. Je n’avais que ces vues qui représentaient des familles noires assises sur un tas de ruine. Le pouvoir par mesures coercitives punissait les régions qui avaient voté contre le président. Le déplacement de population a été une catastrophe humanitaire. Un million de zimbabwéens se sont retrouvés sur les routes et dans la brousse, soit un peu moins de dix pour cent de la population globale. Les hôpitaux ont été désertés, les malades se retrouvaient clopinant sur les pistes.

Le pouvoir a donné un nom à cette opération.
Duncan Wylie. Le mot d’ordre du pouvoir était du shona, le slogan était «Mbaratsvina», cela voulait dire «nettoyer les ordures». Dans les zones électorales anti-Mugabe, les maisons ont été incendiées, les bidonvilles détruits et la population déplacée. Les mesures de répression ont été à la mesure de l’affront ressenti. Le démocrate s’est transformé au cours des années en despote tribal.

Quelle a été la conséquence de cette opération «Nettoyer les ordures»?
Duncan Wylie. La conséquence s’est vue instantanément par satellites. Le résultat a été celui d’un tsunami. Le pays a été ravagé.

Après le gouvernement s’en est pris aux fermes des blancs.
Duncan Wylie. Les réappropriations des fermes se sont passées majoritairement en 2000, mais elles continuent encore aujourdui. Avec quatre à cinq mille fermes, l’agriculture zimbabwéenne était la plus performante du monde. Le secteur agricole employait énormément de gens. Evidemment qu’il fallait faire des réformes. Mais, après cet épisode, certains ministres se sont retrouvés avec plusieurs fermes et «leurs» moissonneuses- batteuses pourrissaient au soleil.

Pourquoi travailler à partir d’au moins deux images pour réaliser tes tableaux?
Duncan Wylie. J’ai des thèmes que j’aime creuser. Pour les images de ruines concernant le Zimbabwe, j’ai utilisé les archives d’une centaine de clichés. Si une image m’intéresse, je vais en chercher une autre pour mieux la souligner, la soutenir. Chaque image a sa propre solution. Chaque image crée une nouvelle image.

Pourquoi utiliser l’ordinateur?
Duncan Wylie. J’ai une idée, une possibilité en tête, ensuite je peins l’image. Avec l’ordinateur, j’opère à partir de calques. C’est un outil de composition. Grâce à lui, je peux travailler sur des formes, des échelles, des dimensions différentes. Je peux passer deux semaines à peindre la première couche. Après un tel travail, j’ai envie de savoir où je vais aller. Je n’ai pas envie de gâcher du temps à prendre une mauvaise direction. Je préfère multiplier les accidents, vérifier mes idées. L’ordinateur n’est pas indispensable, il m’aide juste à vérifier la justesse de la composition. Il m’indique la bonne voie à suivre.

Pourquoi l’accident te fascine-t-il?
Duncan Wylie. De 1998 à 2005, j’ai dominé visuellement mon sujet. J’ai intégré dans mes peintures de la réalité et de la distance. J’ai appris à faire ce que je voulais. Aujourd’hui, j’ai multiplié les effets en peinture, je voulais que cette base technique soit au service de quelque chose de plus grand. La touche est libre, détachée d’une image pré-établie. Le processus devait nous étonner. Il fallait rendre l’invisible visible.

Es-tu «esclave de ta peinture»?
Duncan Wylie. Je suis libre, elle m’apprend des choses. Je me mets en position de danger et je dois trouver la solution. Je me rends la tâche difficile.

Il y a dans tes tableaux doubles une logique de faille et de brèche. Peut-on parler d’une tectonique des plaques?
Duncan Wylie. La brèche laisse échapper une nouvelle énergie. Quand tout se casse, une peinture onctueuse, liquide, sexy voit le jour. Mon sujet traite de l’architecture. Parler d’une brèche après le tremblement de terre en Haïti, permet de se percher sur l’impact social d’un tel événement. Cette logique en plaques permet de rencontrer l’histoire. A l’origine, il y a un déplacement.

La brèche chez toi fonctionne comme un plan.
Duncan Wylie. La brèche fonctionne comme un protocole. L’impact de deux images provoque un chaos en suspension. Cela aboutit à du désordre et à de la structure, c’est paradoxal.

Ton travail est-il documentaire?
Duncan Wylie. Je ne l’ai jamais formulé de cette façon. J’utilise des photographies de presse, ou de personnes travaillant dans les ONG, à Gaza ou à Haïti par exemple, ou simplement les miennes. Ma peinture doit répondre à l’actualité. J’aimerais que la peinture trouve la place qu’elle a perdue face au cinéma et à la photographie. Je suis toujours émerveillé par la peinture. Je lui porte toujours un grand amour.

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