ART | CRITIQUE

Du pur Hyber

PPierre-Évariste Douaire
@19 Sep 2008

Pris dans l’étau du vert et du cyber, Fabrice Hyber raccourcit son nom en supprimant sa dernière lettre. Il s’invente un personnage à la main verte, préoccupé d’écologie. Dans ses peintures, il appelle les valeurs bios, la phytothérapie pour remèdes à notre monde ravagé par la guerre des hommes.

Le titre de l’exposition a le mérite de la clarté. « Du pur Hyber » est un programme qui tient toutes ses promesses. Le nom de l’artiste, écrit en vert sur les vitres de la galerie, dévoile un univers familier et particulier. Des arborescences jaillissent des châssis et projettent leurs ombres sur le trottoir. L’espace d’exposition est une clairière où l’on s’abrite et où l’on se repose. Les inquiétudes de l’artiste bruissent des forêts ravagées, elles se font l’écho des arbres coupés, elles annoncent autant qu’elles reflètent les guerres passées, actuelles et à venir.

Si les pas de l’artiste de 47 ans, l’ont poussé à explorer les nouvelles technologies et leur circuit d’information et de distribution; s’il a monté une chaîne de télévision pour la Biennale de Venise en 1997; le lauréat du Lion d’or, expert en surface commerciale, quand il met en scène des linéaires de supermarché à l’Arc, reste surtout préoccupé par le bio. La cellule souche d’Hyber c’est le vert.

C’est en revenant de Chine qu’a germé le thème des peintures exposées. Touché par un virus qui l’a cloué au lit tout l’été, il en a tiré la force et la sève de ses toiles. Narrateur devant l’éternel, son style a plusieurs visages mais possède une seule architecture. S’il est l’unique personne du monde de l’art à ne pas convoquer Deleuze à tout bout de champ, sa production artistique est assurément parcourue par de nombreux rhizomes.

Lui, préfère parler de racines. Tout son travail s’organise, se construit, par un jeu de questions-réponses. Il jette sur le papier ses interrogations et s’amuse à y répondre en empruntant un raisonnement en escalier. La réflexion par ricochets accouchera de ses fameuses «peintures homéopathiques» qui ressemblent aux cases du jeu de l’oie.

La multiplicité des informations exposées rapproche son travail de celui des murs des couturiers où s’accumulent dessins préparatoires, croquis, polaroïds et morceaux de tissus. Attentif à ne pas désorienter son interlocuteur, il prend soin d’expliquer son jeu de piste dont il est le premier spectateur étonné. La seule chose dont il soit sûr, c’est du point de départ. Après, le chemin de la création devient sinueux. Il se contente d’en récupérer les notes et les étapes. Le tableau ressemble à un labyrinthe qui résume un cheminement et qui accumule toutes les étapes préparatoires à l’idée. Après, il faut tout faire pour ne pas perdre le fil. Jean Cocteau, dans la Difficulté de l’être, comparait la structure de sa pensée à sa chevelure hirsute. Ses cheveux étaient en bataille, c’est pourquoi ses idées partaient dans toutes les directions et qu’on le taxait de dilettante. Les traits au fusain de Fabrice Hyber libèrent son esprit et diffusent une énergie qu’il est facile d’apprécier et de suivre comme on déchiffre un rebus.

Les méandres des croquis, leurs volutes, leurs arabesques ont pour but de créer des POF, des Prototypes d’Objets en Fonctionnement. L’ensemble des toiles en engendre une demi-douzaine. La plupart d’entre eux sont placés face aux esquisses préparatoires. Cela donne un pot de sauge qui tourne à l’aide d’un moteur électrique. A l’étage, il y a un arbre couplé avec une antenne télé. Ailleurs, c’est un pot de fleur qui est relié avec une jardinière renversée, censée symboliser la communication impossible entre les êtres.

Toutefois, c’est avec l’unique peinture homéopathique de l’exposition que le fil rouge des préoccupations de l’artiste se dévoilent. Il s’agit de la suite de Laboratoire. Après l’Homme providentiel, place à l’Homme curatif. Les défenseurs de la médecine par les plantes assurent que la phytothérapie soigne l’ensemble du corps à l’inverse de la pharmacopée chimique qui n’agit que partiellement sur le corps.
C’est dans cette volonté de tout comprendre et de tout montrer que Fabrice Hyber déploie tous ses talents de conteur. Son tableau s’orne d’un mannequin vaudou constitué de graines et de plantes séchées. Il symbolise l’Homme nouveau, l’être naturel parfait, bio par nécessité, curatif par besoin.

Ce surhomme marche dans les traces du prophète Zarathoustra. Conscient des risques qui menacent l’équilibre de la Terre. Il se drape du costume d’un superman écolo. Pour Hyber, la sauvegarde de la planète passe par les plantes. Nietzsche rêvait d’un übermenschen pour le XXe siècle, la génétique et la biochimie du XXIe accouche d’un «Hybermenschen», d’un Homme curatif à l’organisme génétiquement non modifié.

Fabrice Hyber
— p.o.f n°144, 2008. Ballon et pelouse synthétique. 21 x 50 x 50 cm.
— Silence, 2008. Huile fusain, collage de papier et feuille d’argent sur toile. 150 x 250 cm.
— Résonné, 2008. Huile fusain, collage de papier et Epoxy sur toile. 150 x 150 cm.
— Power, 2008. Huile fusain, collage de papier et Epoxy sur toile. 100 x 100 cm.

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