ÉDITOS

Du fric pour les frac

PAndré Rouillé

On a beaucoup dit et écrit contre les Frac, les Fonds régionaux d’art contemporain. Aujourd’hui, après une jeunesse mouvementée et souvent bousculée, ils arrivent à l’âge adulte. Ils ont vingt ans ! Et plus personne, ou presque, n’ose les attaquer de front. A l’occasion de cet anniversaire, le ministère de la Culture organise une série d’actions...

On a beaucoup dit et écrit contre les Frac, les Fonds régionaux d’art contemporain. Aujourd’hui, après une jeunesse mouvementée et souvent bousculée, ils arrivent à l’âge adulte. Ils ont vingt ans ! Et plus personne, ou presque, n’ose les attaquer de front. A l’occasion de cet anniversaire, le ministère de la Culture organise une série d’actions qui s’articuleront, entre juin et décembre, autour de deux grands pôles: «Trésors publics», quatre expositions à Avignon, Nantes, Strasbourg et Arles; et «Détours de France», deux cents événements dans les régions.

Il s’agit là de la reconnaissance de ce mérite immense des Frac : celui d’avoir porté l’art contemporain jusque dans les endroits de France qui en étaient totalement dépourvu.
Celui d’avoir permis à beaucoup de gens de rencontrer l’art contemporain dans des lieux proches, débarrassés des rituels désuets d’exclusion en vigueur dans le monde traditionnel de l’art.
Celui d’avoir procuré aux visiteurs des sensations nouvelles, et de leur avoir ouvert un univers de possibles assez différent de celui dans lequel s’enlisent souvent leurs existences ordinaires — cela par des œuvres, des pratiques, des postures, des formes, des façons de penser et de faire que l’art contemporain ne cesse précisément de réinventer.

Les Frac ont ainsi balisé pour l’art d’aujourd’hui de nouveaux territoires sans lesquels il ne serait pas exactement ce qu’il est. Ils l’ont inscrit dans de nouveaux lieux, auprès de nouveaux publics, avec de nouvelles fonctions. Autant de conditions qui ont permis que des relations inédites, souvent riches, se tissent entre le faire et le voir artistiques.

Tout cela se situe en fait dans un double mouvement de la société française: la démocratisation et la régionalisation. Autrement dit, dans une aspiration à plus de proximité avec le pouvoir politique comme avec le savoir, y compris sous sa forme réputée la plus extravagante et la plus hermétique : l’art contemporain. Mais une proximité largement partagée, bien au-delà des amateurs traditionnels de l’art.

Les Frac ont ainsi contribué à étendre les frontières de l’art, à briser son aristocratique isolement, à rendre au public sa place de véritable partenaire de l’acte artistique, à conférer aux œuvres un rayonnement social inouï;, et à promouvoir des notions auparavant aussi sacrilèges que «pédagogie», «diffusion», «médiation», «sensibilisation».

Cette difficile mission, chaque jour à accomplir, consiste en fait pour chaque Frac à créer ici, dans un territoire singulier, les conditions d’une rencontre durable et intense avec de l’autre et de l’ailleurs, avec l’immensité, la diversité et l’intensité du monde, avec de la différence — avec ce que l’art contemporain incarne sans doute le plus fortement.

Voici vingt ans, les Frac sont rentrés comme par effraction dans le monde de l’art. Dans la brèche a prospéré un nouveau modèle de l’art. Pour que le mouvement s’adapte à ses nouvelles missions, il faudra aussi donner du Fric aux Frac…

André Rouillé

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Rémy Zaugg, Moi / Je te / Vois, 1998. Série «De la cécité». Aluminium, peinture au pistolet, sérigraphie, vernis transparent. 48,40 x 53,10 x 2,70 cm. Photo: paris-art.com. Courtesy Galerie Cent8

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