ART | CRITIQUE

Dragoons

PPaul Brannac
@15 Nov 2008

Au seuil du long escalier de bois qui mène à la galerie Xippas, une photographie de grand format interrompt la marche du visiteur. Dans un paysage semi désertique, au zénith d’un ciel bleu sombre, de petits cercles en suspension, des sphères d’hélium qui surplombent, incongrues, l’immensité naturelle.

L’incongruité de ces éléments artificiels, placés puis photographiés par l’artiste germano-brésilienne Janaina Tschäpe dans la nature aride des montagnes du Dragoon, en Arizona, conforme l’essentiel de sa première exposition à la galerie Xippas.

Paradoxalement, l’immixtion volontaire de rebuts choisis de notre civilisation sur ces terres autrefois indiennes n’apparaît pas obscène. Rebuts pourtant triviaux de morceaux de plastiques colorés, de lanières de textile, de préservatifs emplis d’eau ou d’oripeaux de boas.

Pourtant, chacun de ces artefacts semble avoir été expressément façonné et formalisé par l’artiste en fonction du décor naturel qui les reçoit; s’ils dénotent dans l’espace, ils ne lui font pas injure. Parfois, comme dans le cas de Capricio (2008), boule bigarrée de plumes et de textile prise en gros plan dans la prairie sèche, la mise en scène suggère un hommage malicieux, comme une double référence aux rouleaux de fétus des westerns, qui courent dans la poussière des rues à l’approche du duel, et à une coiffe indienne malmenée, couvre-chef esseulé à l’éclat et la dignité intacts.

A l’exception de cette œuvre, le dialogue intime de ces petites créations in situ avec le vaste désert prend une ampleur plus intéressante lorsque l’angle s’élargit. De loin, comme dans le cas des clichés de ballons dans le ciel se dégage en effet une poésie étrange de la mise en scène et de la confrontation, comme dans la vidéo de l’artiste elle-même, vêtue de blanc, point immaculé avançant aux confins de la perspective d’un lit de rivière asséché.

Les photographies en gros plan, si elles ont le mérite d’être exposées en série, perdent l’image du milieu des Dragoons et partant leur identité contextuelle, une part de la raison d’être de leurs formes, ici et maintenant.

Une faiblesse plus nette marque les dessins et les peintures de Janaina Tschäpe dont l’abondance des signes colorés (cercles et croix notamment) ne parvient pas à retrouver l’ambition rituelle et magique qui traverse ses recherches photographiques. Il n’en demeure pas moins sûr que, chez cette artiste qui avait commencé par s’intéresser aux variations de son propre corps en des espaces plus familiers, l’expérience désertique constitue une étape dans l’élaboration d’une œuvre énigmatique qui laisse toute sa place à l’image.

Janaina Tschäpe
— Sangusorbas Danis, 2005. Impression sur papier brillant. 101.5 x 127 cm
— Capricio, 2008. Glossy C-print. 104 x 127 cm
— Love Lifo of the Octopus (after Jean Painieve), 2008. Huile sur toile. 183 x 183 cm
— Botanica #2, 2008. Glossy C-print. 51 x 61 cm
— Desert Drew, 2008. Glossy C-print. 104 x 127 cm

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