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Doug Aitken’s Ultraworld

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@12 Jan 2008

Dernière exposition proposée par l’ARC au Couvent des Cordeliers, «Doug Aitken’s Ultraworld», réunissant quatre œuvres de 2005 du jeune artiste américain, a le mérite d’une très grande clarté: le spectateur s’y sent fortement pris en main et conduit à travers un itinéraire à la fois flottant et extrêmement maîtrisé.

Cette exposition personnelle permet de prendre la mesure du travail de Doug Aitken, déjà montré par le Musée d’art moderne de la ville en 1995 lors d’une exposition collective, «La Belle et la Bête».

Une série de vingt-quatre photographies encadrées (quatre rangées de six) est présentée à l’entrée de l’exposition. Aitken a choisi différents lieux, intérieurs et extérieurs (tunnels, couloirs, rangées d’arbres) pour leur effet de perspective similaire conduisant vers un point de fuite — de lumière ou d’obscurité. Autant de variations autour d’un principe de composition réputé, depuis la Renaissance, pour rendre compte du réel mais qui, ici, rapproche et déréalise des lieux distincts, réunis aussi par une même lumière glauque et une commune froideur.
Les thèmes de l’exposition — passage, questionnement sur le réel — sont donc annoncés avec cette première œuvre dont le titre Crystal Coma rappelle qu’Aitken est resté inconscient pendant quatre jours en 1998, après avoir failli se noyer dans l’Océan Pacifique, et dit aussi que le caractère aseptisé ou clinique des œuvres est recherché par l’artiste.

Derrière ce premier mur, se trouve une construction complexe en bois inscrite à l’intérieur de l’espace du Couvent: on y accède par quelques marches avant d’être conduit progressivement vers la lumière selon un trajet qui va de la première salle, plongée dans l’obscurité, à la dernière, ouverte et dotée de marches sur ses trois côtés.
Cette structure rappelle celle des édifices sacrés (des temples égyptiens aux églises chrétiennes). L’omniprésence de motifs tels que la lumière ou le désert renforce le caractère religieux de l’installation. Aller vers l’Ultraworld, serait-ce se diriger vers l’au-delà?

L’exposition est un passage qui, œuvre en abîme, en contient plusieurs: les onze écrans plasma suspendus dans la première salle noire semblent définir un chemin sinueux, de même que, dans la deuxième salle, le «Pavillon de miroirs» invite à un parcours; quant à la dernière salle, avec ses trois écrans de grande taille, ce serait le point à atteindre.
La notion de passage est aussi très présente dans les vidéos : à des humains quittant le sommeil pour le réveil (première salle) répondent des avions qui décollent (dernière salle).

On revient toujours sur ses pas. On doit retourner en arrière, en contournant le bâtiment; les mêmes images sont utilisées dans les différents espaces et renvoient à d’autres œuvres de l’artiste comme dans un perpétuel recommencement (kaléidoscopes, cercles, tunnels, avions ou dormeurs).
L’expérience est avant tout celle d’un trouble, d’un flottement — l’image de la mer fonctionne littéralement (elle est filmée à de nombreuses reprises) et métaphoriquement (les écrans s’éteignent par vagues, le scintillement des corps et des miroirs fait écho à celui de l’eau).

On est sans cesse confronté à la difficulté de voir. Dans la première salle, les dos des écrans sont des miroirs. La réalité, souvent réduite à deux dimensions, est interrogée dans les vidéos. Cette exposition est une expérience du moment isolé (par l’image et le son) contre la durée qui construit, du reflet contre le réel dans un univers désincarné produit par une maîtrise presque effrayante — multiplicité de médiums high-tech, scénographie et montage parfaits — qui montre chez Aitken le désir, commun à nombre de ses contemporains, d’un retour du savoir-faire dans l’art.

Le passage est donc le lieu d’une réalité virtuelle, immatérielle — plus de chair, à peine une peau — qui plonge le spectateur dans le monde de la série B et de la littérature de science fiction.
Au moment de l’ouverture de l’exposition d’Aitken, une rétrospective des films de Cronenberg était proposée à la Cinémathèque — mises en abîme, miroirs, questionnement de la réalité, coma et monde à deux dimensions, tout y est aussi, mais avec du corps… Deux visions à confronter.

Doug Aitken :
Crystal Coma, 2005. 24 impressions couleurs. 40 x 50 cm (chacune).
The Moment, 2005. Installation vidéo, 11 écrans plasma et miroirs. 6min 30s.
No History, 2005. Pavillon de miroirs en acier inoxydable.
Glass Era, 2005. Installation vidéo, 3 projections. 7min 7s.

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