ART | SPECTACLE

Dormir sommeil profond, l’aube d’une Odyssée

PCéline Piettre
@09 Juin 2011

Parfois le pire côtoie et le meilleur, comme pour la soirée de clôture du festival des TJCC, où The Lightness and Death of Giselle du collectif Und er Libet, variation naïve et interminable sur le ballet Giselle, révélait par contraste l’excellent Dormir sommeil profond de Jonathan Drillet et Marlène Saldana. Une pièce comme un remontant, qui pourrait nous rendre accros au théâtre !

The UPSBD ? On les avait découverts au Centre Pompidou pour Le Prix Kadhafi (Episodes 1 et 2), le corps peinturlurés de zébrures et l’insolence facile, éclaboussant de cynisme le public hilare sur fond de géopolitique et de crise du pétrole. On les a retrouvés en 2010 au Théâtre de Ville, à l’occasion du Concours Danse élargie, pour une brève séquence d’inspiration wagnérienne où des Walkyries dénudées domptaient une troupe de crocodiles. Les voila aujourd’hui réunis au Théâtre de Gennevilliers pour leur dernière création. Plus en forme que jamais, ils transforment l’immense gymnase en un court de tennis-cathédrale, terre battue au sol et encensoir balayant les airs en une solennité de pacotille.

Associant sport et religion dans un même sanctuaire, Jonathan Drillet et Marlène Saldana, alias The United Patriotic Squadrons of Blessed Diana, annoncent d’emblée leur inappétence à l’orthodoxie et aux communions collectives. Avec DORMIR SOMMEIL PROFOND, l’Aube d’une Odyssée, ils nous servent sur un plateau fumant une fiction politiquement incorrecte, délirante, rageuse, qui convoque aussi bien la musique de Dick Rivers que l’actualité brûlante des sans-papiers. Le tout accompagné d’un sens brillant de la mise en scène, exactement proportionnelle à l’échelle du lieu, et qui donne à la pièce le souffle de l’épopée et l’extravagance des cabarets surréalistes.

S’il y a amorce de récit — deux touristes visitent les pyramides en compagnie d’un enfant noir qu’ils éduquent à la dure loi des flux migratoires à coup de : « On ne peut pas accueillir tout le monde Giscard ! » —, elle se désagrège rapidement sous l’effet d’une dramaturgie à trou, continuellement sapée par le dessous. Jouant des lapsus et du double discours, si brillamment maîtrisé par le corps dirigeant, Jonathan Drillet et Marlène Saldana révèlent, à la façon d’un miroir déformant, les traits les plus grossiers de l’anatomie sociale et politique. Chez eux, le tourisme est un sport colonial, les crocodiles-prolétaires une masse servile ou menaçante, l’Assemblée nationale un sauna où l’on s’échauffe entre soi et la sacro-sainte terre battue une boue de suffisance dans laquelle on vautre (cf. Marlène Saldana à la fin de la pièce).

Ni utopistes ni dystopistes, cultivant à merveille un certain dilettantisme, les UPSBD transposent sur scène le genre littéraire et obsolète de l’odyssée, sa liberté stylistique, ses passages chantés, ses anachronismes, ses monstres. Ici la mythologie sert la politique. C’est elle qui porte le discours et le spectacle y gagne en légèreté, préservé du moralisme de l’artiste militant, sans perdre pourtant de son acidité. A l’heure où Rolland Garros attire tous les regards, Dormir sommeil profond nous ramène à la réalité à la manière d’une douche froide, cinglante mais jouissive et diablement revigorante.

Avec : Audrey Aubert, Jonathan Drillet, Eleonore Guipouy, Alexandre Maillard, Guillaume Marie, Angèle Micaux, Gianfranco Poddighe, Denis Robert, Marlène Saldana, Christian Ubl
Voix : Dick Rivers
Maquillages : Pascale Kouba et Roch Bambou
Costumes : Oleg Savchenko
Lumière : Fabrice Ollivier
Son : Guillaume Olmeta

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