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Don’t Leave me this Way

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Le duo scandinave revient et prolonge son interrogation sur les lieux publics. Pour éclairer les rapports qu’entretiennent les lieux et le public, ils n’hésitent pas à percer les murs de la galerie pour le transformer en judas. C’est toujours l’humour qui prévaut dans ces installations et ces objets aux allures molles ou trouées.

En janvier dernier le duo scandinave animait la rue Louise-Weiss en transformant une simple galerie en atelier d’écriture. Cinq jeunes hommes, recrutés par annonce, écrivaient au fil de l’exposition, leur journal intime. L’œuvre se transformait devant les yeux des spectateurs, le manuscrit de leur expérience se déroulait devant un public de curieux ou de distraits. L’intime et le public se combinait d’une manière déroutante.
D’un abord froid et à distance, cette pièce en train de s’écrire devenait vite attrayante et jubilatoire quant on pouvait s’y projeter. Repasser une demi-heure après son premier passage et constater l’évolution du travail, mesurer le nombre de lignes supplémentaires jetées sur le papier, essayer de voir si l’on est couché sur le papier, si notre ombre ne s’est pas projetée dans une écriture cursive sur un cahier d’écolier.

À l’instar de la télé-réalité qui veut tout voir, tout savoir, cet atelier d’écriture prenait ses racines chez les surréalistes avec l’écriture automatique et autres cadavres exquis. Une pièce non préméditée, un film qui se déroule sans scénario annoncé, une sorte de test à l’aveugle. Le spectateur était donc invité à entrer dans les méandres de la création, il était incité à regarder par-dessus l’épaule de ces écrivains publiques narrant leurs propres histoires, émotions, sentiments, sensations…
Les travaux présentés pour cette nouvelle rentrée proposent la même chose, ils tentent de diriger notre regard à travers les choses et par-dessus elles, au sens propre comme au sens figuré.

The Guys Next Door (2003) est un hublot en acier placé dans le mur de la galerie. L’ouverture ainsi pratiquée permet de voir ce qui se passe dans la galerie contiguë. Cette paroi de verre pratique l’ouverture comme on soulève le rideau au théâtre. Les trois coups résonnent et le spectacle peut commencer. D’origine minimaliste ces systèmes de verre et de miroir permettent de nous interroger sur les rapports que l’on tisse avec le lien social.
Voir et être regardé à la fois, voyeur et exhibitionniste à la fois. Le geste ici ne se réduit pas à l’espace domestique, il n’y a pas de caméra comme c’est le cas dans les émissions musicales, sorte de télé-crochet revisité au goût du jour, mais à l’espace publique. Comment sommes-nous en société? Quels sont les rapports qu’entretient le monde fermé et clos de l’art? Comment les institutions publiques ou privées fonctionnent-elles ?

Percer un trou, comme le faisait déjà Matta-Clark, c’est faire entrer de la lumière, c’est opérer par endoscopie. Percer les tissus, c’est tenter de mieux comprendre le fonctionnement de ce qui est caché. Ce changement de vision est radical autant que ludique. À l’instar de la photographie aérienne, voire icarienne, ou de l’imagerie médicale (voir l’expo dans le second espace avec Mariko Mori), les percements révèlent des mondes inconnus qu’il faut apprivoiser.

L’humour est présent et permet au rire de prendre le dessus sur la théorie ou la remise en question du cube blanc. Vaste débat pour quelque chose de réellement important? Exposer, où et comment, enjeu crucial et stratégie commerciale à l’appui, l’exposition repose sur des opérations délicates et contradictoires qu’il faut savoir déchiffrer.

Elmgreen et Dragset nous aident, parmi d’autres comme Maurizio Cattelan creusant un trou dans une salle de musée, ou comme Pierre Bismuth actuellement à la galerie Cosmic, à interroger l’espace culturel et artistique.

Michael Elmgreen, Ingar Dragset
—The Guys Next Door, 2003. Hublot en acier. Ø 26 cm.
—Don’t leave me this way, 2003. Bois, peinture. 95 x 260 x 135 cm.
—Code Cracking, 2003. Métal, résine, polyester, plastique, peinture. 60 x 40 cm.
—Not Quiet the Same, 2003. Polyester, peinture, plastique. 65 x 130 x 60 cm.

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