PHOTO | CRITIQUE

Dolls

PNicolas Villodre
@29 Jan 2009

La galerie de Claudia Cargnel et Frédéric Bugada proposent une «installation» d’Annika Larsson qui a eu pour conséquence de transformer l’ancien garage de l’Équerre en salle de cinéma permanent. Les ouvreuses se font discrètes et ne vous forcent pas à acheter du maïs soufflé ou des esquimaux glacés.

L’installation d’Annika Larsson est de prime abord une mise en abyme du cube ouvert ou, si l’on veut, du dé à cinq faces, espace archétypal, pour ne pas dire caricatural, figurant toute galerie d’art contemporain qui se respecte depuis, au moins, les années Pompidou-Templon.

Cet espace théâtral, perspective rinascimentale brunelleschienne, paysage, décor, triptyque protégé par d’épais volets faisant la chasse au jour, recouvrant l’immense verrière bellevilloise, coûteuse à chauffer en cette période hivernale, devient, pour un temps du moins, cinéma de quartier.

En 3D ou pour de vrai, on a agencé, côté jardin, trois meubles parallélépipédiques droits de style Ikéa rappelant les marches d’un podium, d’une potence ou d’un pilori figurées dans le film et ici à l’état tangible (du même design que celui du placard de cuisine qui, à l’image, sera pulvérisé à grands coups de masse). Ornant le mur toujours côté gauche, on distingue un triangle jaune tout ce qu’il y a de kandinskien (qu’on retrouve à l’écran).

Côté cour, trois bandes horizontales bleues, griffures de fouine ou, plus probablement, signes cabalistiques dévoilent un chemin de randonnée plus imaginaire que pédestre.

Il est curieux de constater que les peintres — pardon! les «plasticiens»! je veux dire les «artistes» contemporains —, au lieu de se référer aux maîtres anciens, préfèrent puiser dans les «concepts» publicitaires en vogue et lorgner du côté de l’art mineur des artistes «pop» avec lesquels ils ont apparemment plus d’affinités.

Une pochette de disque datant de 1981, démarquée d’une «une» de journal futuriste conçue en 1932 par Fortunato Depero, elle-même «inspirée», c’est le moins qu’on puisse dire, des maquettes de Moholy-Nagy pour les livres du Bauhaus, a été le point de départ des dessins au sol que l’on peut aussi qualifier de suprématistes.

La vidéo nous présente cinq hommes, vêtus de costumes différents, arborant de curieux brassards, portant de drôles de chaussures de sport (des moon boots, des grolles de foot à crampons, des après-skis garnies de pointes plus acérées que celles des sculptures de Pommereulle, des pompes garnies de lames de patins à glace), s’adonnant à des actions insolites relevant de rituels dont le sens semble avoir été définitivement perdu.

On est dans une sorte de narration. Dans un rêve éveillé ou un cauchemar véritable. Mais le tempo alenti de chaque geste, de chaque acte, de chaque déplacement dans l’espace ou bien jette un froid ou bien crée une certaine tension.

On ne sait pas vraiment qui fait quoi, ou à quel us se rattache tel ou tel costume. L’homme en uniforme n’a, par exemple, pas d’autorité sur celui qu’il sert cérémonieusement, qui est vêtu d’un gilet comme ceux des serveurs ou des domestiques.

Le videur au look menaçant prend soin du vieux militaire, l’aide à gravir les trois marches, comme s’il était son garde-malade ou son garde du corps. Certains gestes sont on ne peut plus ambigus — une caresse de la joue, par exemple ou une main baladeuse comme celle d’un Pickpocket. On est dans un jeu mi-badin, mi-pervers.

L’homme qui dissimule son visage sous un loup fait penser au justicier masqué combattant le crime créé par Will Eisner, Denny Colt, plus connu sous le pseudo de The Spirit — ce qui, dans une certaine mesure, nous ramène à Kandinsky et à son texte Du spirituel dans l’art.

On sent que le dispositif est plus compliqué qu’il n’y paraît, que la mise en scène est biaisée, que les rapports entre les personnages sont refroidis. Le jeu des acteurs (ou des «modèles») est de type bressonnien. Parfaitement antinaturaliste. On est dans la retenue, et même dans l’inexpressivité.
L’univers d’Annika Larsson rappelle un peu celui d’un Bob Wilson. Certes, elle n’a pas la même extrême rigueur, la même esthétique pure, épurée ou puritaine que le metteur en scène américain. Elle n’entre pas dans le détail, ne se perd jamais dans l’infime nuance d’un effet lumineux ou d’une idée scénographique qui se jouent à la seconde et au millimètre près.

Mais l’œuvre a quelque chose de trouble, de dérangeant, voire même d’un peu morbide. L’artiste ne souhaite pas mettre les points sur les «i». Elle cherche à rester dans l’indéterminé et l’indécis.

La bande son, conçue par le musicien new-yorkais Sean McBride, est lancinante et hypnotique. Les hommes se changent en objets. Leur démarche et leurs réactions paraissent mécaniques, robotiques. Ce sont des pantins. Des marionnettes. Des baby dolls. Des poupées de cire et de sang.

Annika Larsson
Dolls, 2008.

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