ÉCHOS
08 Jan 2010

Docks (bientôt) en Seine

PRuth Gurvich
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Que se passe-t-il au 28 quai d’Austerlitz ? Si les Parisiens se sont déjà habitués à l’étrange silhouette verte imaginée par les architectes Jakob & MacFarlane, le bâtiment conserve tout son mystère : un an et demi après la fin des travaux, la Cité de la mode et du design ne compte encore qu’un seul locataire. Son ouverture officielle, initialement prévue au printemps 2008 et repoussée à trois reprises, est aujourd’hui programmée au mois de juillet 2010…

Chez les professionnels des disciplines concernées, l’enthousiasme a depuis longtemps fait place à l’impatience, voire à une certaine aigreur. Lors d’une récente interview au journal Libération, Gérard Laizé, directeur général du Via, qualifiait le projet de « marigot ». La proximité avec la Seine (Docks en Seine sera l’unique bâtiment parisien ouvert au public jouxtant le fleuve) se prête il est vrai aux parallèles aquatiques. Après un long naufrage, il semblerait pourtant que le projet soit à nouveau à flot. C’est en tout cas ce qu’assure Jean-Michel Grau, Directeur de la coordination et de la commercialisation du projet.

Petit rappel des faits : le projet de la Cité de la mode et du design voit le jour en 2002, lorsque Christian Pierret, alors secrétaire d’État à l’Industrie, charge Pascal Morand, directeur de l’IFM, et… Gérard Laizé (dont on comprend mieux l’agacement) de bâtir un projet autour de cette idée fédératrice. Un rapport, rendu en novembre de la même année, propose trois scénarii. Il restera sans suite. Du moins au niveau du Ministère…

Début 2004, la ville de Paris lance un appel d’offres international pour la reconversion des magasins généraux du Quai d’Austerlitz. L’objectif est d’en faire « un nouveau lieu de destination, inscrit dans le programme de dynamisation du quartier Rive Gauche ». Le jury distingue le projet Docks en Seine, porté par la Caisse des Dépôts et Consignations et sa filiale immobilière Icade, qui ressuscite l’idée d’un « centre de valorisation de la création » dans les secteurs de la mode et du design. Les travaux démarrent fin 2006 et s’achèvent à l’été 2008. En décembre, le bâtiment accueille son premier occupant, l’Institut français de la mode, qui investit 15% des 14 400m2 disponibles.

Et puis… plus rien. L’Icade multiplie les annonces (on parle de l’Apple Store, lorsque les négociations sont en fait engagées avec un revendeur Apple) et, cherchant par tous les moyens à rentabiliser l’espace, transforme peu à peu le projet en galerie marchande. La Mairie s’impatiente et, fin 2008, la Caisse des Dépôts retire le projet à l’Icade pour le confier à Jean-Michel Grau. Lequel s’efforce depuis de le remettre sur les rails, avec pour objectif d’en faire « un laboratoire vivant et international de toutes les formes de design et de mode, pour le grand public et les professionnels ». L’accent est mis sur l’interdisciplinarité et une approche à 360 degrés de chaque discipline. Ouverte à tous, la Cité devra être à la fois « populaire et qualitative », attirer les foules mais en faisant « du Arte plutôt que du TF1 ».

Pour mener à bien ce programme, la Cité s’est donc dotée d’un vaste pôle événementiel, occupant une surface de 3 500m2 au premier étage du bâtiment. Sa programmation s’articulera autour d’expositions, de salons grand public et de workshops à destination des enfants et des adultes. Un second espace, situé au niveau des berges et ouvert au public entre mars et fin septembre, accueillera défilés de mode et fêtes, « car la Cité se veut aussi un lieu festif ».

Côté commercial, les grosses enseignes dont les noms avaient circulé pendant la période Icade ont laissé place à une douzaine de concept-stores, confiés à de jeunes créateurs. Un restaurant et une librairie complèteront ce dispositif.

Les professionnels se retrouveront pour leur part au sein du « Hub économique », une plateforme de rencontres et d’échanges dont la mise en œuvre a été confiée à Donald-Potard, ex-président du groupe Jean-Paul Gaultier et créateur de l’agence Agent de Luxe. Implanté sur le toit terrasse, l’endroit aura pour mission d’informer et d’orienter les porteurs de projets, de leur donner de la visibilité et de les mettre en relation avec des investisseurs potentiels. Pour Jean-Michel Grau, il s’agira aussi de « créer des passerelles entre les écoles de mode et de design, et de rassembler tous les acteurs économiques intéressés par ces filières afin de créer des synergies et de constituer un pôle créateur d’emploi. »

On ne pourra donc pas reprocher au projet de manquer d’ambition… De quel budget de fonctionnement disposera-t-il pour mener à bien ses missions ? Aucun chiffre n’a encore été fixé. « Nous sommes encore en phase de commercialisation » souligne Jean-Michel Grau, « le budget dépendra des preneurs ». Le mariage entre lieu grand public et carrefour professionnel fonctionnera-t-il ? Souhaitons-le. Paris en aura bien besoin pour défendre son titre (autoproclamé) de « capitale de la création ».

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