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Distorsion

Distorsion est un ensemble prolixe, mais non bavard, gourmand sans être fantaisiste. Le display foisonnant du nouveau mobilier d’Hervé Van der Straeten sème le trouble : la galerie est habitée par une présence ou la trace d’un passage. Á moins que les objets n’aient été laissés là, et que leur force d’évocation suffise à créer un univers en forme d’exposition.

Première déambulation, un curieux éclectisme. Le créateur n’impose pas de parcours ni de lecture a priori sinon la disposition conventionnelle d’objets juxtaposés de fait, mais en nombre et variés. Dans un second temps, l’oeil trouve ses marques au rythme d’échos de nature fonctionnelle. Les meubles dialoguent entre pairs et par paires : armoires, tables, chevets, consoles, miroirs, luminaires, appliques.
Un jeu de pistes organise aux yeux de qui prend le temps de séjourner entre eux, des correspondances formelles ou d’écriture : reflets sur laque ou miroir, empilement de volumes en déséquilibre, entrelacs de branchages et pattes d’insectes ou d’oiseaux, bulles de verre pop, silhouettes futuristes, couleurs ou dorures en forme de cellules concentriques. Pour autant cette disparité ne rime pas avec la stérilité d’un éclatement des styles. Plutôt que de dérouter, le designer nous surprend par des déclinaisons interdisant de territorialiser les objets, qui ne se laissent pas tout à fait déterminer…

Aussi croit-on déceler l’inspiration archaïque des piles qui forment deux chevets sur socle, jusqu’à ce qu’une console également bâtie, mais chromée, évoque davantage un vaisseau ayant pris de la vitesse ; cette vitesse pourrait être celle de sa semblable, laquée rouge, mais qui rend l’impression plus lascive d’un nappage géant ; un miroir en tableau-relief démultiplie notre reflet en plusieurs avatars, quand un autre le morcelle et le divise. Hybrides, ces objets semblent pris dans une généalogie de formes dont ils n’ont plus le souvenir, juste l’empreinte : une articulation, une laque ou un pied.

De leur diversité intrinsèque naît une bizarrerie synonyme de richesse. Baroque au sens propre du terme, les meubles du designer savent l’irrégularité de leur matière première pour mieux la maîtriser et feindre par la suite avoir été trouvés là, en éléments contingents mais sublimes. Hervé Van der Straeten s’est toujours posé en défenseur de la « haute facture », engagé auprès de l’artisanat. Pour autant, et sans en imiter le prétendu désordre, il joue sur les effets du hasard.

Massive, une table offre la vue de son plateau immense et chamarré, tout juste posé sur trois pieds comme répartis à la hâte. Une autre, ronde, tient sur des socles saillants supportant un plateau de bois dont la surface est traitée en lamelles inégales qu’on dirait jetées à la manière d’un mikado. C’est sans doute ce que le designer aura retenu de ses premières amours en matière de joaillerie : traiter chaque élément pour lui-même, et n’attendre de leur assemblage qu’une étrangeté née de la promesse de deux matériaux intègres.

Ceux-là, l’artisan ne cesse de les découvrir au sens d’une invention. Mais leur nouveauté ne l’attire pas pour les propriétés qu’on leur préjuge. Ainsi la transparence du verre qu’il utilise en boules agglomérées est niée par l’effet de concentration produit. Le volume occasionné n’est ni limpide, ni opaque, aussi inclassable que les trois miroirs déformants à la Van Eyck qui ponctuent l’exposition : chacun semble nous dire en forme de clin d’oeil que le véritable objet de la distorsion est l’espace alentours ainsi que notre habitation des lieux, invitée à demeurer singulière, obstinément renouvelée.

— Hervé Van der Straeten, console Clash, 2008. Acier Inoxydable
— Hervé Van der Straeten, table Swing. Piétement en acier inoxydable, plateau en marqueterie de Dibetou.
— Hervé Van der Straeten, console Psychose, 2008. Matériau composite laqué rouge.