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Dissipations

PCéline Piettre
@24 Sep 2008

Un miroir nous fait de l’œil ; une chaise de jardin oblitérée de toute part semble prête à s’écrouler ; une photographie donne l’heure… Ambigus, les meubles de Robert Stadler foulent avec impertinence les champs de l’art et du design.

Cofondateur du collectif Radi designer, autrichien de naissance et « franco-brésilien » d’adoption, Robert Stadler s’érige en maître de la manipulation et du détournement. Rien dans son travail n’est univoque. Tout, au contraire, concourt à brouiller les limites des genres et des statuts, quitte à remettre en cause la fonctionnalité même de l’objet d’usage.

Dans son nouveau mobilier de salon présenté à la galerie Perrotin, l’asymétrie domine. Celle, presque naturelle, de certains empilements géologiques improbables, qui prennent ici la forme d’une table ou d’une méridienne. Cette irrégularité directrice confère aux meubles un dynamisme de plaques tectoniques, une instabilité constitutive. Ainsi superposées, les galettes de couleurs grises, bleues ou blanches semblent prêtes à se mouvoir, à se déplacer, jusqu’à transformer la physionomie initiale du mobilier. Il n’est donc pas étonnant de constater que les strates dissimulent des rangements : tiroirs ou tablettes laquées que l’on tire et repousse à son bon vouloir.

Outre une flexibilité évidente, la Possible Low-Table et la Possible Meridienne suggèrent l’hypothèse d’une fonctionnalité contingente, susceptible d’être, de ne pas être ou d’être autre. Comme si l’utilité — l’usage — pouvait se révéler optionnels et fluctuants ; comme si un objet pouvait échapper aux typologies classiques, ne s’apparentant à rien de particulier, à l’image de ces Possible Plateforms dont le titre conforte l’indétermination formelle.   

Mais ces meubles étagés nous rappellent aussi les architectures « à croissance illimitée » de Le Corbusier, destinées à évoluer dans l’espace et dans le temps, à s’agrandir selon les besoins et les variations de leur environnement. Achevés, les Possible de Stadler paraissent encore en devenir, si bien que l’on pourrait s’imaginer y ajouter aisément quelques strates supplémentaires…

A ces superpositions et accumulations, Robert Stadler oppose sa chaise de jardin trouée, grignotée, caractérisée par ses lacunes, son manque de matière. Un objet neuf qui porte déjà les marques du temps ; un siège dont la fonction première d’assise, de support, est remise en cause par sa pauvreté matérielle. D’allures fragiles, précaires, les Rest in Peace renvoient évidement à l’usure du mobilier d’extérieur, victime d’une érosion naturelle, mais surtout à la faible durée de vie de nos objets courants — qui, selon Hannah Arendt et à la différence des œuvres d’art, vieillissent et meurent rapidement pour être remplacés par d’autres. Qu’ils « reposent en paix » nous souffle le designer, avec sarcasme, jouant sur l’ambiguïté phonétique du mot anglais « Peace » (paix) et de son presque homophone : « Piece » (morceau). 

Plus loin, avec le miroir Attractor, nous faisons encore les frais de l’espièglerie du designer. Tels des Narcisses pris à notre propre piège, il est impossible de nous défaire de cette « œil » voyeur qui suit inlassablement notre reflet.
Jouant de la frontière entre art et design, vulgarité et élégance, modicité et préciosité, Robert Stadler se démarque de la famille des designers. Avec lui, on s’amuse, on doute, on s’interroge sur le rôle et la place de nos objets courants et le statut de l’œuvre d’art. Fabriquant volontairement des réalités hybrides, et perturbant par la même la fiabilité de notre jugement — comme pour cette horloge murale déguisée en photographie de pin-up, 24h Tanya — , il met son humour au service d’une distance critique.  Et derrière cette dimension réflexive, se révèle quelque chose qui a trait au merveilleux, au conte. Passant ainsi de l’autre côté du miroir, on se questionne, comme Lamartine l’a fait avant nous : « Objets inanimés avez-vous donc une âme ? ».

— Robert Stadler, Rest in Peace, 2004 – 2008. Fonte d’aluminium, peinture blanche. 88 x 40 x 53 cm.
— Vue de l’exposition Robert Stadler à la galerie Emmanuel Perrotin, 2008.
— Robert Stadler, Possible Meridienne, 2008. Mobilier composé de galettes superposées et tablettes laquées. 72 x 90 x 226 cm.
1/8 + 2AP + 2PP.
— Robert Stadler, Possible Plateforms, 2008. Mobilier composé de galettes superposées et tablettes laquées. 27 x 160 x 255 cm.
2/8 + 2AP+2PP.
— Robert Stadler, Possible Low-Table, 2008. Mobilier composé de galettes superposées et tablettes laquées. 39 x 68 x 127 cm. (fermée), 39 x 68 x 130 cm (ouverte). 2/8 + 2AP+2PP.
Robert Stadler, Attractor, 2008. Mirolege et éléments électroniques. 130 x 71 cm. 1/8 + 2AP + 2PP.
— Robert Stadler, 24h – Tanya, 2008. Écran LCD 32, composants éléctroniques, cadre acier, peinture epoxy. 81 x 50 x 10 cm.

   

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