ART | CRITIQUE

Digital Diaries

PEtienne Helmer
@12 Jan 2008

De la vidéo analogique aux images numériques, les installations de C. Ikam et L. Fléri déclinent les transformations que les technologies de l’image impriment à la représentation de l’identité.

Quel impact les technologies du virtuel ont-elles sur l’identité de l’individu, et quelle image nous en donnent-elles ? De la vidéo analogique aux images numériques, les installations de Catherine Ikam et Louis Fléri déclinent ces transformations: du corps épars à l’identité virtuelle.

Identités III (1980) insiste sur la fragmentation que le règne de l’image fait subir à la représentation des êtres: assis face à neuf télévisions et sept caméras, le visiteur voit de multiples facettes de sa tête apparaître sur les écrans, sans qu’il puisse en ressaisir la totalité. Sont ainsi initiées deux directions qu’exploitent les installations ultérieures.

La première concerne l’idée de fragmentation ou d’éclatement, étendue à tout le corps dans Les Fragments d’un archétype (1990). Catherine Ikam transpose en effet le célèbre dessin de Léonard de Vinci représentant les proportions du corps humain — un homme, jambes et bras écartés dans un cercle — dans un dispositif monumental où le corps est présenté en parties discontinues: dans un néon circulaire de 4 m de diamètre, seize télévisions représentent des parties du corps, dont l’ensemble recompose la position du personnage de Léonard, mais dont chacune est animée d’un mouvement autonome. L’impression de totalité, symbolisée par le cercle, est ici minée de l’intérieur, sans pour autant que le corps soit entièrement fragmenté.

La seconde direction inaugurée par Identités III concerne la thématique du visage, dont l’importance philosophique est évoquée par une citation de Lévinas. Ces êtres virtuels créés par Catherine Ikam et Louis Fléri sont présentés dans une série de portraits «photographiques», ainsi que dans deux installations interactives: sur l’écran où ils apparaissent, ces visages suivent les mouvements du visiteur qui leur fait face, comme s’ils réagissaient à sa présence.
Mais malgré leurs regards inquiets et interrogatifs, ces êtres demeurent froids et lointains. Même le baiser échangé dans la vidéo Deep Kiss entre deux personnages, dont les visages se roulent l’un dans l’autre pour se rejoindre dans une intimité dérobée au spectateur, ne parvient pas à atténuer l’impression de leur mutuelle extériorité.
C’est qu’il manque à ces mimes numériques le lien véritable, celui de la parole, tant entre eux qu’avec le spectateur. L’interactivité n’est qu’un pâle substitut de l’intersubjectivité. Le silence glacé de ces installations rappelle peut-être que l’homme s’actualise par la parole, et que le prodige de la présence virtuelle a pour envers le risque de la solitude muette.

L’installation la plus spectaculaire et peut-être la plus suggestive est celle qui donne son nom à l’exposition et la clôt. Le spectateur est invité à se munir de lunettes pour pénétrer dans un espace virtuel tridimensionnel dans lequel avancent des images suspendues, comme une lente pluie d’étoiles.
Ces images sont très diverses: des photographies tirées des souvenirs des artistes côtoient des photographies de célébrités, des clichés anciens flottent à côté de visages virtuels semblables à ceux du début de l’exposition. Le spectateur peut manipuler une sorte de gouvernail numérique afin que l’image de son choix s’oriente vers lui. Celle-ci dévide alors des bribes de discours ou quelques éléments sonores, jusqu’à ce qu’approche une autre image.
Digital Diairies figure ainsi, non sans fascination, une plongée au cœur de la mémoire, de sa capacité à recueillir les traces du passé et les produits de l’imagination, et à les faire défiler sans fin et sans ordre. Mais le dispositif se signale de nouveau par son manque: cette mémoire est morte, comme celle de nos ordinateurs. Lui fait défaut la fonction créatrice de la mémoire, celle qui l’ouvre à l’histoire, à ce récit composé où les images cessent d’être des résidus inertes pour devenir les parts vivantes de notre identité.

Catherine Ikam et Louis Fléri
— Oscar, 2005. Portrait intéractif.
— Androids Are Lonely Too, 2006. Infographie 3D.

Catherine Ikam
— Digital Diaries, 2006/2007. Installation numérique interactive.

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