ART | CRITIQUE

Didier Marcel

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Didier Marcel prélève des éléments de paysage pour en modifier la perception et pour trouver un point d’équilibre entre la réalité et son modèle de fiction. La pièce majeure de l’exposition est un immense cadre rectangulaire rempli d’une résine sombre reprenant à la perfection le motif d’une terre labourée.

On se souvient des maquettes d’usines de zones industrielles et suburbaines qui tournaient leurs façades fatiguées sur des socles de stands d’exposition. On se souvient également de cette installation de trois mobylettes jetées sur une moquette verte, sorte de préfiguration d’entrée de bois et terrain de jeu pour ados surchauffés.
Didier Marcel situe son travail dans cette fiction trouble, pas tout à fait réelle ni franchement éloignée du vrai. Il livre ici une exposition tout aussi aride et lyrique que les précédentes: un paysage suspendu à sa part d’esthétique, c’est-à-dire, lorsqu’il passe par la moulinette de l’artiste, à sa part de beauté étrange.

La pièce majeure de l’exposition est un immense cadre rectangulaire rempli d’une résine sombre reprenant à la perfection le motif d’une terre labourée. Les sillons creusent de larges volumes, éventrent la surface, découvrent la matière, généreuse et fragile, friable presque, fissurée par endroits, gonflée à d’autres.

Le «tableau» (la référence est évidente) de Didier Marcel emprunte sa force au paysage de Courbet et de Millet, la même générosité de la matière, la même volonté de s’inscrire dans une réalité profane. Un morceau de réalité donc, une esthétique sobre du presque rien: la terre retournée de Marcel esquisse la possibilité d’une nature en construction, d’un paysage en devenir, à l’opposé finalement des bâtiments industriels qu’il capturait à l’état de ruine.

La différence est-elle si franche? Les autres pièces de l’exposition ne le disent pas tant. Que ce soient les rondins de bois ou les troncs d’arbre, chacun floqué d’une résine en polyester à l’aspect velouté, à la fois rassurante puisqu’elle lisse toutes les aspérités et étrangement étouffante puisqu’elle enferme le bois dans un écrin opaque, la nature apparaît comme figée, solidifiée, même glacée si l’on se fie à la nappe blanche qui les recouvre. Les tranches du rondin ont été dissimulées sous un miroir fumé et les troncs d’arbre, marqués à la peinture fluo, comme un signe d’une prochaine découpe.

En somme, une nature cannibalisée, emballée par la doxa esthétique imposée par l’homme. La méthode vient en effet très vite s’emparer du sentimentalisme inspiré par la nature: le rondin est posé sur un socle d’exposition, le citron est engoncé dans une machine au réseau de tiges complexe, les tréteaux sont eux-mêmes posés sur des béquilles métalliques, la terre labourée est contrainte dans un cadre muséal. Il s’agit d’une nature en démonstration (comme pouvaient l’être ses maquettes de ruines industrielles), ou pour mieux dire, d’une nature naturalisée.

Nous le disions, Didier Marcel prélève. Il prélève comme le chirurgien dissèque: avec précaution, justesse et parcimonie. La nature subit ainsi les lames de son scalpel, peu d’éléments pour en dire beaucoup sur notre rapport à l’élément brut naturel, son traitement ou comme à certains moments de l’exposition, son retraitement.

Peu d’éléments certes mais l’aspect minimaliste de son œuvre n’est qu’une façade, plutôt une amorce pour entrevoir ce qu’il y a de plus singulier chez lui: son intérêt pour la mémoire, notamment celle du travail manuel (l’usine, le travail du bois ou de la terre) qui entretient finalement une part essentielle d’un bien commun universel: notre mémoire du paysage.

English translation : Begum Boré

Didier Marcel
— Sans Titre (labours), 2006. Résine polyester, résine acrylique, fibre de verre, cadre bois vernis. 218 x 322 x 50 cm.
— Sans Titre (citron), 2006. Acier inoxydable poli, citron,. 42 x 52 x 50 cm.
— Sans Titre, 2006. 2 éléments en résine acrylique floquée polyamide, métal chromé. 150 x 88 x 62 cm et 168 x 88 x 62 cm.
— Sans Titre (peuplier), 2006. Résine polyester floquée viscose, acier inoxydable. 145 x 180 x 41 cm.
— Sans Titre (platane), 2006. Résine polyester floquée viscose, peinture aérosol, roulettes. H. 133 cm. Diam. 72 cm.
— Sans Titre (lavis), 1999-2006. Tirage argentique encadré. 57 x 71 cm.
— Sans Titre (aquarelle), 1999-2006. Tirage argentique encadré. 57 x 71 cm.
— Sans Titre (polygones), 1999-2006. Tirage argentique encadré. 57 x 71 cm.
— Sans Titre (dessin à la mine de plomb), 1999-2006. Tirage argentique encadré. 57 x 71 cm.
— Sans Titre (dessin au stylo-bille), 1999-2006. Tirage argentique encadré. 57 x 71 cm.

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