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Dialogue avec Delacroix

 Michel Butor s’arrête devant l’une des peintures majeures de  Delacroix, La Prise de Constantinople par les croisés, et livre son regard curieux, passant et repassant ainsi la frontière des genres entre littérature et peinture.

Information

Présentation
Michel Butor
Dialogue avec Delacroix

L’œuvre est connue sous deux titres: celui qui avait été demandé, sous lequel il avait été exposé en 1841: Prise de Constantinople par les Croisés, c’est celui qui se trouve aujourd’hui sur le cadre, et un autre qui a peu à peu prévalu: L’entrée des Croisés à Constantinople.

Or selon le titre qu’on lui donne, on interprète le tableau différemment; ce n’est pas le même événement qu’il représente. Il est nécessaire pour comprendre cela de se remémorer quelque peu les événements de la quatrième croisade. Il est évident que lorsque les services culturels de Louis-Philippe font la commande pour la salle des Croisades de la galerie des batailles à Versailles, ils considèrent que les événements doivent être dépeints comme entièrement positifs. Il s’agit non seulement de glorifier la France, mais aussi et surtout ce qui reste de la noblesse.

Delacroix qui avait représenté la Liberté guidant le peuple en 1830, lors de la révolution qui certes avait porté Louis-Philippe au pouvoir, ce qui avait amené le roi-bourgeois à acheter le tableau, devait avoir quant aux croisades des sentiments assez ambigus.
Si les plus réactionnaires chantaient ces événements, et s’il y avait une abondante littérature laudative à leur sujet, d’autres parties de la population voulaient en faire une réévaluation radicale. 

Charles Fourier publie dans le Nouveau Monde amoureux, que donc Delacroix ne pouvait connaître, mais qui est bien significatif de l’état &esprit qui régnait dans certains milieux avancés.
Pour Fourier le mot « civilisation » désigne l’état de l’Europe occidentale depuis la fin du Moyen Age jusqu’au début du XIXe siècle, et qui est toujours pris en mauvaise part. Ce que Fourier appelle de ses vœux, par contre, c’est l’harmonie, l’état qui peut s’instaurer progressivement.