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Devenirs, becomings : art contemporain dans l’Europe du Sud-Est

Catalogue de l’exposition Devenirs présentant la jeune scène de l’art contemporain en Europe du Sud-Est : il envisage les œuvres dans leur capacité à agir sur le réel, à susciter des démarches d’ouverture. Un outil indispensable pour connaître et comprendre la vitalité de ces régions.

— Auteurs : Aleksander Bassin, Julie Cabanne, Ana Devic, Shkelzen Maliqi, Gëzim Qëndro, André Rouillé, Nebojsa Vilic
— Éditeur(s) : Paris, Cultureaccess
— Année : 2001
— Format : 25 x 20 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Page(s) : 156
— Langue(s) : français, anglais
— ISBN : 2-9517416-0-X
— Prix : 26 €

Devenir avec le monde. Un art sans présent (extrait)
par André Rouillé

Comment l’art devient-il avec le monde ? Telle pourrait être la question qui relie les œuvres de l’exposition Devenirs. Telle est la posture qui a paru la plus appropriée pour aborder la scène artistique d’une région aussi intense et bouleversée que l’Europe du Sud-Est où se côtoient l’Albanie, la Bosnie, la Croatie, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie.
La posture des devenirs s’est imposée avec d’autant plus de force que les drames qui ont ébranlé la région ont mis en échec les manières traditionnelles d’envisager l’art comme une entité séparée du monde. L’art n’est pas ici ou là vis-à-vis du monde, il « devient avec » le monde. L’art ne représente pas le monde, il ne le reproduit pas, il contribue à le produire. L’art est à la fois produit et producteur du monde. Cela est possible parce que l’art est à la fois autonome et social. Pratique autonome, il n’est pas soumis à la logique représentative ; pratique de part en part sociale, il est sensible au cours et aux soubresauts du monde. autonome et social, l’art résonne avec le monde.

Résonner aux grands phénomènes collectifs

Comment et à quels mouvements les œuvres contemporaines résonnent-elles ? Sur le plan des matériaux la scène artistique de l’Europe du Sud-Est diffère guère des scènes occidentales, européennes ou américaines. La photographie, les installations, les performances, Internet, la vidéo, etc., occupent une large place aux côtés des pratiques plus traditionnelles comme la peinture ou le dessin. C’est plutôt sur les problématiques artistiques que les différences s’imposent, et cela en raison des tensions et des tragédies actuelles ou récentes, en tous cas toujours vives, qui confèrent à la région une intensité extrême. C’est précisément l’intensité, jusqu’à la présence sourde de l’horreur, qui caractérise la plupart des œuvres, même si cette intensité est souvent contenue dans les plis des problématiques artistiques, des recherches formelles, des courants et des manières propres au champ artistique contemporain.
Alors qu’en Occident l’art est submergé par le banal, l’ordinaire, le vide, ou l’intime, alors qu’une large partie des œuvres est polarisée sur le quotidien et l’individu, l’art du Sud-Est de l’Europe est, lui, traversé par les grands phénomènes collectifs qui hantent la région : l’exode (Mehmet Behluli), l’épuration ethnique (Sokol Beqiri), les frontières (Aleksandar Stankovski), l’identité nationale (Damijan Kracina), les refugiées (Maja Bajevic), la démocratie (Nebojsa Seric Soba), les rémanences du socialisme (Zaneta Vanei), les institutions internationales (Zaneta Vangell, Erzen Shkototti), la politique et la vie privée (Tanja OUojic), la culpabilité (Ivan Ric), le nouveau pacte social (Andreja Kutuncic), etc. L’art occidental n’est pas moins politique que celui d’Europe du Sud-Est, il l’est différemment.