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D’Eux Sens

PNicolas Villodre
@29 Sep 2008

Invité par le mécène de la compagnie La Baraka (Paribas, pour ne pas le nommer), nous avons assisté à la « première mondiale » de la dernière création d’Abou Lagraa, au titre improbable : D’Eux sens, inspiré des poèmes persans d’Omar Khayyam.

La dernière chorégraphie d’Abou Lagraa (la dernière en date, du moins), interprétée par le chorégraphe et sa concubine, se présente sous la forme d’un duo d’une cinquantaine de minutes, ce qui n’est pas rien, qui intègre, bien entendu, les soli de chacun des deux tourtereaux et sait parfaitement alterner temps faibles et périodes d’acmé. Après la phase de l’approche puis celle de l’apprivoisement, on assiste à la scène centrale de la pièce, aussi bien en termes de durée que de spatialisation : celle de la rencontre. Le couple se désagrègera en définitive dans une scène de ménage sans fin, stylisée et pleine de rebondissements.

Les rapports entre les deux protagonistes semblent découler des pensées du philosophe, mathématicien et poète persan, sacrément matérialiste, Omar Khayyam, telles qu’exprimées dans ses Rubbaïyat. En voici quelques, à titre d’exemple : « Avant de prendre la main d’un homme, demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour (…) Ne crois pas que tu sauras quelque chose quand tu auras franchi la porte de la Mort (…) Et notre âme, qu’Allah attend pour la juger selon ses mérites, dites-vous ? Je vous répondrai là-dessus quand j’aurai été renseigné par quelqu’un revenant de chez les morts (…) Aujourd’hui sur demain tu ne peux avoir prise. Penser au lendemain, c’est être d’humeur grise (…) Profite de l’instant que te vaut la Fortune. Sans regret, sans regard vers le ciel, sois sans peur. »

De manière explicite, le duo se lance alors dans une démonstration sensuelle, une suite gestuelle caressante, mais aussi, dans la dernière partie du spectacle, dans une série de mouvements heurtés, crispés, voire maladroits, constamment guidés par le lyrisme du poète dont les textes ont, il est vrai, conservé une étonnante fraîcheur et une rare lucidité.

Vêtus d’un costume semblable en épais tissu blanc (mais cette couleur ou, plutôt, cette valeur, en Orient, peut être signe de deuil), conçu par Michelle Amet, les danseurs sont passés de leur pré carré (deux nattes aux éclairages instables) au centre de la scène et de ce foyer à un petit bassin où ils ont eu le loisir de se rafraîchir et/ou de se purifier, si besoin était.
La chorégraphie se déroule implacablement. Interprétée le plus consciencieusement, le plus sérieusement du monde, elle joue sur les effets de miroir entre les deux partenaires. Le même geste, simultanément accompli par les deux danseurs ou légèrement décalé dans le temps, prend de l’ampleur du simple fait de sa duplication.

La danse du couple et les soli de chacun sont tout en arabesques. Le travail au sol est considérable, riche et varié. La structure de la pièce ne laisse rien au hasard. Tout y est soupesé. Des moments de pantomime frôlent le symbolique et même l’anecdotique, sans jamais y tomber. Les crissements sur le lino des chaussettes mouillées et bien d’autres surprises attendent le spectateur. La veste mouillée de Nawal fait songer au chemisier d’Ursula Andress dans Dr No.

— Chorégraphe : Abou Lagraa
— Interprétation : Nawal et Abou Lagraa
— Musique : Eric Aldea, Ivan Chiossone et Massoud Raonaq

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