ART | CRITIQUE

(Dessins)

POrnella Lamberti
@01 Mai 2011

Images symptômes de quelque univers fantasmatique regorgeant de formes invaginées, de délices psychédéliques, d’orchidées-papillons et de chairs alanguies, les œuvres d’Alina Szapocznikow sont fenêtres béantes sur un monde débridé.

L’œil paresseux ne distingue d’abord que des dessins modestes, de rien, au stylo bille noir, au crayon de couleur, à l’encre de jais, au lavis, ainsi que quelques sombres monotypes. S’attardant plus scrupuleusement sur les œuvres d’Alina Szapocznikow, l’organe s’affole, déraillant sur des formes tremblotantes, organiques, imprécises. Des cercles circonscrits évoquent des cavités, des muqueuses, des fantasmes d’organes génitaux; de fins traits, des poils.

Ces esquisses freudiennes, au contenu sexuel latent, prennent toute leur ampleur, tout leur élan pour se muer en de psychédéliques créatures, tétanisant la blanche feuille de leurs noires arabesques.

Qu’est-ce? Des orchidées, des jambes en l’air, des vagins-fleurs, des excroissances de chair, des ailes de papillon déployées? Mais de ces envies fragmentaires se dégagent tantôt des formes achevées: ici, un bas de visage masculin, la langue braquée tel un phallus, est surplombée par un amas de vêtements comme jetés dans l’urgence du désir; là, une femme colorée de tons pastel chevauche une forme dressée et ambiguë.

Mais souvent les silhouettes s’amalgament et, amassées, sont des symptômes de fesses, de chairs alourdies, de poils, qui s’étalent en d’incongrus territoires de débauche. Symptômes car ces images sont souvent la manifestation incomplète de pensées que l’on ne s’autorise qu’à moitié. Et symptômes car provenant d’un esprit perverti par les turpitudes du sexe.

Ce for intérieur dévoyé, tel une écriture automatique, a parfois l’élégance chancelante des traits d’Egon Schiele, renforcés pour certains motifs d’empâtements noirs quasi-calligraphiques.

Les monotypes d’Alina Szapocznikow sont des empreintes de sombres pensées, à l’instar des tests de Rorschach, et ont des formes puissamment évocatrices. Une silhouette — humaine? — et son ombre transpersent la pénombre…à moins que ce ne soit une chauve-souris rattrapée par l’obscurité. Et là, est-ce une rose? Un visage? L’on s’attend presque à assister à un miracle tel celui du Saint Suaire…

Alina Szapocznikow est une artiste polonaise réputée pour ses moulages réalistes de parties du corps (généralement sexuées) en mousse polyuréthane et résine polyester. Sa vie personnelle — rescapée des camps de la mort, elle développera par la suite une tuberculose puis un cancer du sein qui l’emportera en 1973 —, également connue, se retrouve en filigrane de son œuvre. Notamment dans ses représentations parcellaires du corps, meurtri, temporel, toujours incomplet.
La période exposée à la galerie Loevenbruck en particulier — de 1959 à 1972 — nous permet de pénétrer de manière plus intime encore la psyché de l’artiste.

Et de contempler cette «beauté convulsive» de l’inconscient qui s’abandonne.

Œuvres
— Alina Szapocznikow, Etude de sculpture 5, 1963. Encre sur papier. 42 x 27,9 cm
— Alina Szapocznikow, Sans titre, v. 1961. Monotype à l’encre sur papier vergé beige à filigrane «Ingres». 64,6 x 48 cm
— Alina Szapocznikow, Paysage humain, v. 1971 – 1972. Aquarelle et feutre sur papier vergé à filigrane «extra strong». 29,3 x 20,6 cm
— Alina Szapocznikow, Sans titre, 1963. Encre et feutre sur papier ; 35.9 X 26.8 cm
— Alina Szapocznikow, Sans titre, v. 1963-1965. Monotype à l’encre sur papier vergé beige à filigrane «Ingres». 23.6 x 31.2 cm

AUTRES EVENEMENTS ART