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Degrés d’incertitude

Jean-Baptiste Caron, pour sa seconde exposition chez 22,48m2, présente «Degrés d’incertitude». En avril 2011, il investissait déjà le lieu, proposant une exposition conceptuelle et provocatrice: fermer la galerie au public. Intitulée «44,96m2» (soit 22,48 multiplié par deux), cette exposition, dont le nom lui-même est un détournement, était une citation à de nombreux artistes.
Yves Klein, en 1958, après ses œuvres immatérielles, invitait le public à la première exposition du vide à la galerie Iris Clert. Robert Irwin, en 1970 à Los Angeles, laissait la galerie vide, investissant l’espace de temps à autre, pour réfléchir à ce qu’il pourrait y présenter.
Jean-Baptiste Caron ne laissait pas cette chance au public. La galerie n’était pas vide mais son accès y était impossible. Il ressuscitait ainsi le topique selon lequel l’art est un simulacre. La visite de 44,96m² provoquait certainement de la frustration, pourtant au regard de la production de Jean-Baptiste Caron, elle n’en demeurait pas moins une nouvelle manipulation du réel et une transformation de la galerie en espace fictif.

C’est dans le prolongement de cette même idée que le jeune artiste de 29 ans présente aujourd’hui quatre pièces qui questionnent l’immatériel et la dynamique ascensionnelle. Les œuvres s’articulent entre elles avec minimalisme et précision. Elles suggèrent le détournement, existant dans un entre-deux palpable. Le titre donné à chacune d’entre-elles nous invite sur le terrain des lois de la physique et convoque un imaginaire scientifique. Mécanique du vivant est une sphère blanche en béton et polystyrène d’un diamètre de 40cm. Son titre contraste avec la simplicité de l’objet, posé à même le sol. Il est pourtant question de physique. Le centre de gravité de l’objet a été déplacé de façon à ce que la sphère en mouvement ne puisse pas réaliser de cercle régulier. Immobile dans la galerie, elle s’anime en vidéo dans une projection qui atteste de l’intervention invisible de l’artiste.

Avec Le Petit Attracteur, Jean-Baptiste Caron présente une structure sur pieds en béton au-dessus de laquelle semble léviter quelques grains de poussière par un procédé d’illusion d’optique. Ce projet trouve ses sources dans un constat du quotidien, l’amas au centre du nombril de fibre de tissu, très sérieusement nommée peluca ombilicus.
L’artiste établit un lien entre un effet mécanique éprouvé sur son corps et l’attraction des masses de l’univers. Le titre est une référence directe au Grand Attracteur, anomalie gravitationnelle de l’univers provoquée par un superamas de galaxies. Jean-Baptiste Caron semble dans ses œuvres vouloir échapper à la gravité du monde réel, comme obsédé par l’ascension. Entre gravité et légèreté, au sens propre comme au sens figuré, l’artiste oscille entre illusion et réalité.

Cette dialectique de la verticale est reprise dans les deux productions suivantes. A l’aplomb des hauteurs représente un fil d’aplomb dont le poids est fait de poussière. Le fil pointe tout de même le sol, mais propose un point d’équilibre instable. Et soudain le réel vacille figure une bouteille d’eau minérale en verre, posée en situation de péril extrême, en équilibre sur l’arrête du socle qui la supporte. Ces pièces échappent toutes à la gravité et se jouent de notre perception. Jean-Baptiste Caron souhaite les faire exister dans un espace intermédiaire et opère pour cela à un décentrement.

Jean-Baptiste Caron n’est pas un prestidigitateur. Il ne dupe personne. Il procède par détournements à une réflexion sur les lois physiques ou mécaniques relatives aux notions de la pesanteur. Il se positionne ainsi en passeur, cherchant à nous abstraire de notre propre gravité, à faire tomber nos certitudes et à nous faire entrer dans un univers incertain, instable et en perpétuel mouvement.

Oeuvres
— Jean-Baptiste Caron, A l’aplomb des hauteurs, 2012. Fil, poussière 9x4cm.
— Jean-Baptiste Caron, Le petit attracteur, 2012. Béton, plastiques, miroir, poussières. 50x50x16
— Jean-Baptiste Caron, Mécanique du vivant, 2012. Béton, polystyrène, pvc. Ø 40 cm.
— Jean-Baptiste Caron, Et soudain le réel vacille, 2013. Verre. Ø 7×27.