LIVRES

De l’immobilité du voyage

Rencontre de l’artiste-scientifique Paul-Armand Gette avec le site naturel du lac de Grand-Lieu : quelques nymphes blanches, une esquif, une pierre du nom de ryolithe, un peu de quartz. Son projet : faire entrer le lac dans l’abbatiale de Grand-Lieu. Ce joli petit livre en est la trace.

— Éditeurs : Joca Seria, Nantes / Frac des Pays de la Loire, Carquefou / Association culturelle du Lac de Grand-Lieu, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu
— Année : 2002
— Format : 20 x 15 cm
— Illustrations : nombreuses, en couleurs
— Pages : 61
— Langue : français
— ISBN : 2-908929-93-7
— Prix : 15 €

De l’immobilité du voyage
par Paul-Armand Gette (extrait, pp. 7-8)

Au début il y eut L’Éloge du jaune de Naples et du volcanisme campanien que Jean-François Taddeï; proposait de montrer à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. Ce nom fit surgir de ma mémoire une rhyolithe dont j’avais, plusieurs années auparavant, vu un superbe échantillon dans une vitrine du Musée de l’École des Mines à Paris. L’étiquette qui l’accompagnait était un peu laconique et indiquait comme provenance : Lac de Grand Lieu. je me voyais déjà tenant entre mes mains ma roche préférée. Voici la raison qui fit que je déboulais un jour à SaintPhilbert en criant la rhyolithe, la rhyolithe ! Ils m’ont regardé d’un drôle d’air ceux qui m’accueillaient gentiment. Ce n’était pas leur affaire la roche volcanique. Ils me trouvaient bien énergumène, on ne peut pas dire que les choses commençaient bien. Ils m’ont parlé du lac, de la possibilité qu’il y avait de le voir en montant dans un clocher. je n’en croyais pas mes oreilles, il fallait que je grimpe je ne sais pas combien de marches pour voir un lac dont je ne savais que faire. Je ne le vis pas ce jour-là.

Nulle fantaisie n’était à l’origine de mon désir rhyolithique (j’aurais pu écrire délire sans qu’il y ait lapsus!), c’était l’envie que j’avais de montrer aux habitants du lieu que ma passion n’était pas aussi éloignée d’eux, c’était cette envie qui me guidait. je tenais à cette présence dans le voisinage de la couleur napolitaine, elle serait la preuve de la constance de mes goûts et de la grande logique qui dirige l’ensemble de ma pratique où le désordre n’a pas sa place tant il est préférable de mettre l’ordre en court-circuit avec lui-même. Mais à cet instant de rhyolithe il n’y en avait pas, elle ne suscitait aucun écho chez mes interlocuteurs.

Il fallut, le premier mouvement d’humeur passé, toute la persévérance que Mademoiselle Pacreau apporta à sa recherche pour que Serge Regnault, le conservateur du musée d’Histoire naturelle de Nantes, accepte de venir aimablement lui montrer l’endroit où existaient quelques chances de rencontrer les traces d’une coulée à gros cristaux. Les dieux furent avec eux, et lors de ma visite suivante ce fut une accompagnatrice expérimentée qui nous fit franchir les obstacles me séparant de l’objet de mes convoitises. Je pus enfin contempler, au lieu-dit Le Saut-du-Cerf, la lave de mes rêves. L’endroit ne m’a pas déçu, une légère pente rocheuse surplombait la rivière faisant irrémédiablement penser à quelques tableaux de Lukas Cranach. je ne doutais pas un instant que l’endroit ne tira son nom de la fin tragique d’un Actéon poursuivi par ses chiens et s’abîmant définitivement sur les rochers avant que ces charmants animaux, ne le reconnaissant pas sous son nouvel accoutrement, le dévorent sans plus de façon. Voilà ce qui attend ceux qui approchent de trop près la farouche Artémis, Quelle leçon pour les malotrus qui tentent de surprendre les dames au bain. La lave était là, métamorphisée certes, mais bien là. Elle put alors prendre la place que je lui avais destinée auprès de mes précédents exercices volcaniques et jaunes.

(Texte publié avec l’aimable autorisation des éditions Joca Seria)