ART | CRITIQUE

Merlin James: Painting

PNicola Marian Taylor
@12 Jan 2008

En écho à la participation à la Biennale de Venise de Merlin James, la galerie Les Filles du Calvaire présente, cette rentrée, la première exposition personnelle en France du peintre britannique. Dans ses compositions subtiles, chaque trait occupe une place ambiguë entre signification et abstraction.

S’il est bien un domaine où Merlin James s’illustre, c’est dans celui de l’insaisissable. Ses compositions mi-abstraites, mi-paysagères, dans lesquelles n’apparaissent que rarement des figures humaines ou animales, échappent à une catégorisation facile. Sa façon d’entretenir l’ambiguïté quant au sens des éléments peints, suspendus de manière indéterminée entre signification et abstraction, déroute. De même, son choix de la peinture de chevalet d’un format très restreint se démarque dans un contexte artistique qui tend souvent vers le spectaculaire et le monumental.

Cette « stratégie de la modestie » que Merlin James pratique depuis une vingtaine d’années, n’est pourtant pas manque d’ambition : il cherche en effet en permanence à construire et déconstruire les codes picturaux établis, à remanier le vocabulaire expansif des genres pour pousser la peinture à la limite, voire au-delà de sa pratique convenue. Animé par cette quête à la fois intellectuelle et esthétique, Merlin James interroge inlassablement les possibilités de la peinture. Son œuvre participe ainsi au renouvellement des débats sur ce médium historique, tenu, pendant un moment, quelque peu à l’écart.

Des tonalités sombres et atténuées dominent les tableaux de Merlin James. Elles contribuent à créer une ambiance sereine, « silencieuse » et assez énigmatique. Par-ci, par là des éclats de couleurs très vives – oranges, jaunes, rouges – se détachent des surfaces. La matière est par endroits appliquée en couches tellement épaisses qu’elles en ressortent en saillie. Ailleurs, au contraire, l’application de la peinture est si fine qu’elle en paraît translucide. Dans certaines compositions, le regard pénètre dans les volumes décrits, selon le mode du tableau-fenêtre. Dans d’autres, le dispositif pictural l’attire et le maintient à la surface. Merlin James vient parfois à y ajouter des cheveux, des fils, de la sciure de bois ou autres détritus de l’atelier, ce qui renforce les effets de matière. L’abordant comme un terrain d’exploration et d’expérimentation, l’artiste semble vouloir percer le mystère de la peinture – parfois au sens propre, en trouant la toile.

Toutes en subtilité, les constructions picturales de Merlin James se prêtent souvent autant à la lecture abstraite que paysagère. Ainsi, Green, composition a priori abstraite pourrait aussi évoquer un front de mer au soleil méridional. En effet, les bandes horizontales de verts et de bleus sur lesquelles l’artiste ajoute une petite touche de jaune adhèrent, à un certain degré, aux codes établis de la représentation paysagère. Le « cadrage », le traitement à l’horizontale, la division tripartite terre, mer, ciel, font partie de la grammaire traditionnelle du genre. Or, en même temps, Merlin James instille un certain flou dans cette représentation qui se plaît à avoisiner le genre paysager.

Ce sont ces ambivalences qui font l’intérêt et le charme des toiles de Merlin James, les inscrivant dans cette zone d’ambiguïté caractéristique de ses travaux.

Même dans les tableaux qui s’inspirent plus directement d’éléments paysagers, l’ambiguïté à l’égard de leur vocation descriptive semble volontairement entretenue. Dans Tree, par exemple, l’aplanissement de la perspective, la réduction à l’essentiel des formes et l’absence de repères temporels et géographiques, fondent un rapport précaire à la réalité et déstabilisent la notion de la représentation.

La peinture de paysage, ce genre vu et revu maintes fois et fourmillant de clichés pittoresques, est ainsi, dans l’œuvre de Merlin James, un objet d’étude fécond et le point de départ, voire le pivot central de son entreprise picturale. C’est à travers elle que l’artiste britannique aborde les questions qui le rongent et l’animent. Comment des éléments picturaux (une masse de couleur, une ligne, une forme) peuvent-ils se « coaguler » pour former une Image, titre d’une des œuvres les plus énigmatiques de l’exposition ? À quel moment une touche de couleur est-elle porteuse de sens au-delà de sa réalité picturale ?

Cet intérêt pour l’instabilité des formes, pour leur capacité à tendre vers un genre bien précis et d’exister ainsi à la limite de l’intelligible, remonte, chez Merlin James, au début des années 1980. Tandis que le regard de la jeune génération d’artistes anglais est rivé sur Berlin et New York, Merlin James, alors étudiant en art, commence à venir à Paris. Les œuvres de maîtres plus anciens tels que Poussin, Courbet et Derain, ainsi que le travail de Fautrier, de Magnelli, de Bram van Velde et d’autres peintres de l’École de Paris, le marque profondément. Merlin James admire particulièrement les modes d’expression riches et variés de Jean Hélion et de Serge Chachoune. Leur manière de tendre tantôt vers l’abstraction tantôt vers la figuration en laissant toutes les possibilités d’interprétation ouvertes, lui ouvre de nouveaux horizons.

En effet, pourquoi cantonner la peinture dans des catégories absolues ? Pourquoi se laisser prendre au piège de définitions et des théories étouffantes ? Pour Merlin James, maintenir l’ambivalence est une façon de libérer la peinture de ses antécédents.

Aujourd’hui, l’exposition personnelle de l’artiste à la galerie Les Filles du Calvaire, permet au public de découvrir l’œuvre subtile de Merlin James dans la ville où tout avait commencé : Paris.

Merlin James
— Red Mirror, 2005-2004. Acrylique sur toile. 45 x 34 cm.
— Tree, 2003-2006. Acrylique sur toile. 30 x 40cm.
— An image, 2007. Acrylique sur toile et techniques mixtes. 51 x 46 cm.
— A Building, 2006-2001. Acrylique sur toile. 81 x 44 cm.
— Figure, 1995-2000. Acrylique sur toile. 56 x 46cm.

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