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De l’apparence des choses

20 Avr - 13 Mai 2009
Vernissage le 20 Avr 2009

Dans une société fascinée par le mythe de l’éternelle jeunesse avec ses attributs de beauté et de performance, Rachel Labastie pointe l’attrait opéré par le marketing du bien-être, qui offre sous de rassurantes appellations divers outils placebos.

Communiqué de presse
Rachel Labastie
De l’apparence des choses

Loin de tout artifice, Rachel Labastie élabore patiemment un répertoire d’objets, qui interrogent les formes contemporaines d’aliénation. Au premier coup d’oeil, l’apparence du travail rassure ; les formes sont lisses, bien faites. Alors que le temps s’égrène, le doute ne tarde pas à s’infiltrer de manière pernicieuse. Un pas de recul quasi spontané fait prendre conscience… et s’il n’était pas question de ce que je vois ?

A travers diverses stratégies, Rachel Labastie explore la dimension fantasmatique des sciences occultes, tente de lever le voile sur « ce courant de mondialisation spirituelle, qui à la manière d’un miroir de notre époque, reflète ses malaises, ses craintes, ses angoisses mais aussi sa crédulité, ses espérances ».

Dans une société fascinée par le mythe de l’éternelle jeunesse avec ses attributs de beauté et de performance, l’artiste pointe l’attrait opéré par le marketing du bien-être, qui offre sous de rassurantes appellations divers outils placebos ne traitant les blessures de l’âme que de manière superficielle, engrangeant de facto le produit financier de multiples insatisfactions et frustrations.

Avec la Bibliothèque du bonheur (2006), Rachel Labastie reproduit pléthore de couvertures d’ouvrages aux intitulés vendeurs d’un mieux être prophétique. Les aquarelles et leur palette doucereuse interpellent l’attention, semblant souligner la somnolence de l’esprit en quête de spiritualité low tech.

Dans le même registre, Voyage vers l’éveil (2007), un avion en papier, pliage big size confectionné à partir de multiples tracts d’invitations à des stages et séminaires de développement personnel, parle à la fois du désir d’envol et du souhait d’échapper au carcan de la pensée. Ailleurs, la mise à distance hors contexte psychologique révèle l’idiotie des paroles dites émancipatrices, telles que présentées dans la série d’aquarelles Invitations (2007), reproduisant des publicités froissées, parfois délavées par la pluie.

Evolution dans la Série Terres (2008) où les volumes indissociables des cinq blocs de livres anciens reproduits en terre cuite ne présentent plus aucune écriture : pas de titre, ni d’auteur, juste des symboles (croix, étoile, carré) inscrits dans la chair du « cuir », qui insistent sur l’aspect inaccessible de savoirs énigmatiques.

Plus qu’une idée fixe, une obsession, Rachel Labastie semble attirer l’attention sur ces icônes superfétatoires, qui disent le trouble d’une société, dressant le constat de la perte d’un bien être et de l’urgence d’y remédier. L’artiste n’hésite pas à rapprocher les pilules du bonheur Viagra, Dhea et Prozac, qu’elle nomme ironiquement Les 3 Vertus (2006) de cette profusion de représentations littéraires « New Age ».

Cette aliénation « vertueuse » renvoie aux images préconçues de dépassement personnel, qu’elles concernent l’idée de pouvoir, l’idéal charismatique, le besoin d’être « smart » à tout prix, qui fusionnent dans le registre du clubbing de Pills (2007), pilules extasiques over size aux couleurs acidulées, frappées du sceau de la sensation adéquate à engloutir pour un « good feeling » : un papillon, une étoile, une couronne, un diamant.

Source de résonances métaphoriques, le travail de Rachel Labastie produit une tension. L’imaginaire se déploie par à coups, se heurtant aux images, aux objets, cherchant à dégager un espace de liberté, une respiration dans ce qui procède d’un enfermement séduisant, d’une prison sociale, qui tous les jours façonne de nouvelles victimes.

L’air de rien, une sculpture alerte : Cage (2007), une prison réfrigérante d’une beauté minimale. Cette sculpture, qui évolue selon les conditions ambiantes de température et d’humidité de l’air, varie selon la fréquentation du lieu. Le diamètre des barreaux de glace augmente de manière non uniforme, jusqu’à former bloc.

Faut-il voir dans l’émergence de cette cage à chaque fois différente mais toujours gangrenante la constante appétence de la pensée humaine à se soumettre ? Peut-être. Ce qui est plus sûr toutefois est l’enjeu équivoque du travail, l’ambiguïté extrême avec laquelle le propos critique demeure empreint d’une curiosité renouvelée, révélant pour le moins une certaine fascination.

Avec Entraves (2008), éléments d’attaches destinés à des esclaves fabriqués en porcelaine blanche, Rachel Labastie rend la problématique plus sensible encore. Selon l’artiste, « la fragilité des liens représentés implique un consentement ». Tandis que les outils de supplice et de rétrogradation humaine se regardent perversement comme de délicats bijoux, la non couleur blanche plaide volontiers pour leur aspect irréel : une manière d’exprimer qu’il ne faut pas se fier aux apparences.

Remarquons aussi que parfois Rachel Labastie n’hésite pas à utiliser un procédé semblable aux enseignements doctrinaires pointés du doigt. L’opposition entre l’objet représenté et le matériau utilisé semble refléter la contradiction entre les messages propagandistes de bien-être et de liberté et le sentiment de dépendance, la perte de confiance en soi qu’ils génèrent. En ce sens, l’action d’une parole sur une personne peut se révéler beaucoup plus forte qu’il n’y parait.

La menotte en porcelaine à l’image de la « bonne parole » ressassée sur les ondes se révèle tout aussi dangereuse qu’un instrument de rétention. Aussi l’oeuvre n’est-elle pas sans rappeler Temple (2006), une installation vidéo faisant apparaître au rythme d’une musique lancinante le mouvement ascendant et descendant de huit bandes blanches, dessinant les barrettes d’un système audio ou les colonnes d’un temple antique. L’artiste pointant là l’univers médiatique assénant à coups de boutoirs l’idée de liberté dans un flot de paroles quasi évangéliques pourtant bien éloignées du libre arbitre.

Si les aquarelles cernaient plus directement la culture New Age avec ses formes de conditionnement de la pensée, les travaux récents interrogent de manière plus subtile l’aspiration d’être autre, l’incompréhension d’être soi et la difficulté d’y remédier. Bien que présente dans Ailes (2008), ailes d’ange en céramique émaillée blanche, dont la délicatesse du travail accroît la vulnérabilité, la dimension métaphorique de l’envol se heurte paradoxalement à la pesanteur du matériau.

Déjà palpable dans Sculpture (1999), – une vidéo projetée sur le nuage s’élevant d’un fumigène, où l’image d’un nu féminin apparaissait et disparaissait de manière incessante au gré du mouvement de la fumée-, la fragilité de l’équilibre de construction spirituelle se retrouve plus spécifiquement exprimée dans Chapelle (2009), structure en bois lamellé du lieu de recueillement. Repliée sur elle-même, à l’image de persiennes fermées, elle ne (se) laisse aucune possibilité d’ouverture, préférant le chemin d’une régénérescence intérieure coupée du monde.

Vernissage

Lundi 20 avril à partir de 18h.

Evénement
Dimanche 26 avril à 18h.
Danielle Cohen Levinas proposera une lecture dans l’espace d’exposition, « Un corps en exil », pour Rachel Labastie dans le cadre de son exposition « De l’apparence des choses »

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