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Dans l’épaisseur de la lumière. Photographies 1974-2015

12 Sep - 07 Nov 2015
Vernissage le 12 Sep 2015

Keiichi Tahara place la lumière au centre de son approche artistique. Pour lui, elle n’est pas le moyen mais la fin. Ses photographies oscillent constamment entre ce qu’il appelle la lumière blanche (celle des sensations et des émotions provoquées par l’extérieur) et la lumière noire (lumière intérieure qui suscite l’imagination et la création).

Keiichi Tahara
Dans l’épaisseur de la lumière. Photographies 1974-2015

Un homme regarde par la fenêtre.
Ou plutôt, il regarde la surface que délimite le bois de la fenêtre, le cadre de métal du vasistas. La vitre n’est pas tout à fait transparente. Entre le dedans, où se trouve l’homme, et le dehors — où l’on distingue des nuages, des toits, des bâtisses –, la buée, la poussière, les déjections d’oiseaux, les traces de pluie dessinent un paysage voilé, tremblé, charbonneux. Ici, un bout de mur apparaît, qu’un rai de lumière dispute à l’ombre. Là, de part et d’autre du vasistas entrouvert, c’est un peu de ciel qui s’échappe. Les obliques font vaciller le regard, dérangent le cadre, bousculent les perpendiculaires.

Nous sommes à Paris, c’est le matin. L’homme, les yeux à peine ouverts, allume une cigarette. Le soleil qui perce le vasistas lui apparaît alors, pendant un bref instant, «comme la lumière même», écrira-t-il. Le rayon souligne les volutes de fumée, fait étinceler la vitre, révèle ce qui s’étend au-delà: «Au milieu des nuages, de la lucarne et de la fumée, mon regard n’accommode plus et se fond dans la lumière proche de midi».
Nous sommes à Paris, dans les années 1980. L’homme qui regarde par la fenêtre est japonais. Photographe, il a saisi, dans les différents lieux qu’il a habités, des images de la ville où il avait, un temps, choisi de vivre.
Keiichi Tahara se tient dans l’épaisseur de la lumière.
Pour lui, elle n’est pas le moyen mais la fin. Et aussi le commencement et le chemin qui va de l’un à l’autre: l’entre-deux, l’«in-between».

Ce balancement, il le connaît.
Du dedans — les chambres où il a commencé à photographier — au dehors — les espaces qu’il illuminera de ses installations. De la lumière voilée du Japon à la lumière crue — «tranchante», dit-il — de Paris, qu’il n’apprivoisera qu’avec le temps. De sa culture orientale, empreinte de non-dualité, à la vision tout occidentale d’un monde fragmenté. De la lumière blanche, extérieure et solaire, qui éclaire la série In-Between, à la lumière noire, intérieure, d’où naîtra la série Écran.

Entre les deux univers, Keiichi Tahara est un passeur. Il traduit en langue-lumière ce qu’il voit. Il est le truchement qui nous permet de voir ce à quoi, sans lui, nous resterions aveugles. Telle l’ombre portée des caractères d’un texte en braille, reliefs de la langue tactile qu’éclaire une lumière rasante comme de soleil levant.
Sur l’une des photos de la série In-Between, deux mains semblent tenter de palper l’impalpable.
Entre elles, juste une tache de lumière dont on sent presque la chaleur sur ses paumes; insaisissable comme l’ombre, celle d’un bouquet sur le mur; fugace comme le mouvement, celui d’oiseaux dans leur envol; évanescente comme la fumée qui, à peine les bougies éteintes, plane un moment autour de la mèche, tel un fantôme de flamme.
La lumière comme «mesure de l’absolu».

Emporter en lui la mémoire de la lumière apprivoisée: c’est ce à quoi aspire Keiichi Tahara lorsqu’en 1985, il retourne au Japon. Ainsi naissent les polaroïds de la série Écran. La couleur y apparaît, mais ténue: des bleus, des bruns, des gris, nuances nocturnes à la lisière du noir et blanc.
Les installations évoquent le théâtre: loin de la lumière naturelle, ce sont des projecteurs qui, ici, éclairent ces étranges natures mortes. Mais sommes-nous sur scène ou dans les coulisses?
La source lumineuse est partie intégrante de l’image, le dispositif de l’installation est visible. Fils électriques, lueurs des spots, matières industrielles. Surfaces lisses, brillantes jusqu’à l’éblouissement, arrêtes «tranchantes», brutales… comme la lumière de la France.
Ces images contiennent pourtant de larges parts d’ombre: ainsi est la mémoire. Échafaudages de souvenirs, coulisses où s’entassent des fragments de décor, chevauchement de textures et d’éclairs, éclats de verre comme des miroirs brisés et, entre chaque éclat, l’opacité de l’oubli.
Écran compose une archéologie intime, «mémoires» que le photographe exhume.

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