ART | CRITIQUE

Dans le labyrinthe

PSandrine Peyre
@09 Oct 2009

L’œuvre de Pierre Coulibeuf porte le spectateur à de multiples plans du film, avec finesse et justesse, entre mythe et réalités anthropologiques.

Le Musée d’art moderne de Saint-Etienne présente la première exposition muséale en France de Pierre Coulibeuf. Composition surprenante, voire déstabilisante, elle questionne au-delà de l’expression artistique dans son ensemble, les pratiques anthropologiques de tous temps. Situations personnelles mais universelles et inscrites dans la mémoire collective, puisque l’artiste sollicite la mythologie grecque et l’histoire de l’art.

Le plan du film, la prise de vue, la composition du tableau: la confrontation-rencontre des arts nous perturbe, et c’est là tout l’art de Pierre Coulibeuf. Au-delà d’un seul travail de création, ce jeu de «passages» d’un médium à l’autre, situe son travail comme une œuvre de transformation des arts.

A l’entrée des salles qui lui sont consacrées, la première œuvre présentée est Delectatio Morosa, hommage à Pierre Klossowski, produite à partir de son film Klossowski: peintre-exorciste  (1987).
Frappante par sa composition, sa lumière et ce qu’elle induit, elle jette le trouble sur le regardeur. Une jeune fille passe son doigt sur sa bouche entrouverte tout en se regardant dans un miroir. L’intervention du cinéma dans cette œuvre est minimale puisque le seul mouvement est celui du doigt qui fait le tour de la bouche. Rien d’autre ne vient perturber ce geste en boucle.
Et c’est précisément avec ce mouvement extrêmement limité, à peine perceptible au départ, que Pierre Coulibeuf nous donne à voir et à connaître sa vision de Pierre Klossowski: son geste artistique, c’est ce doigt sur cette bouche, la référence s’impose comme une évidence. Le jeu du regard, le miroir, le reflet questionnent la psychologie, le dédoublement, thème cher à l’artiste et que l’on retrouve également dans l’œuvre suivante.

A l’étage, le film  Dédale est passé en boucle et en décalé, en deux versions, l’une sonore, l’autre non. L’installation comprend quatre images en mouvement réalisées à partir de l’architecture de Alvaro Siza Vieira pour la Fondation Iberê Camargo, au Brésil.
Deux personnages: une jeune femme, un jeune homme. Une situation à double entrée, très inquiétante par son silence, l’intervention, quoique assez rare, de citations musicales; tout nous renvoie à un sentiment d’inquiétante étrangeté puis d’angoisse. Les personnages d’Ariane et Thésée sont pris au piège d’un espace, le labyrinthe, voire d’un rapport, apparemment sans issue. Prisonnier chacun d’une réalité, mais laquelle?

Comme le film qui tourne en boucle, Ariane tourne en rond dans son labyrinthe. La fatalité n’est pas loin, on se laisse traîner par elle, glisser doucement dans la folie, sombrer vers l’abîme de leurs situations-émotions exacerbées.
A la sortie du labyrinthe, autre mise en scène, sur la plage, Ariane et Thésée semblent danser, doucement serrés, puis ils prennent de la distance, jusqu’à la fuite pour l’un, l’effondrement pour l’autre, le tout précédé d’une rare violence, à peine contenue. Une danse comme un tango, mais un tango noir.

Pierre Coulibeuf se pose en spectateur du monde, sur lequel il promène son œil aiguisé et ironique. Léger sourire en coin, pour celui qui déshabille les situations et les codes usuels de la société, du rapport à soi, du rapport à l’Autre, et même ceux du cinéma, pour mieux les reconstruire. Un travail riche de références aux arts et à leur histoire.

Pierre Coulibeuf
— Lost Paradise 2, 1995. Film 35 mm. 2 projections vidéo, tranférées sur DVD.
— Delectatio Morosa, 1987, from Klossowski, peintre-exorciste. Films 16 mm. Muet.
— Dédale, 2009. films 35 mm. 4 projections vidéo transférées sur DVD. Sonore et no-sonore.
— Photos couleurs, 60 x 112 cm.

Publications
— Pierre Coulibeuf, Dans le labyrinthe, SylvanaEditoriale, Museum Colecção Berardo, Lisboa, Portugal et Musée d’Art Moderne de Saint-Etienne Métropole, 2009.

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