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Dans la sphère de Thierry Marx…

Les promesses du Laboratoire ont de quoi faire événement sans pour autant produire de signification attendue ni faire prévaloir un domaine sur l’autre. Il active la confrontation sincère des aires esthétiques et scientifiques, et ce au sein d’un espace post-industriel dont la rénovation privilégie fluidité et circulation entre des cellules fonctionnelles.

La nef centrale accueille aujourd’hui non pas tant le résultat que la communication de la recherche menée par Thierry Marx, grand chef de la cuisine déstructurée, et Jérôme Bibette, physicien spécialiste des colloïdes. Sont nées de cet échange de compétences des perles de saveurs dont la peau est tellement fine qu’en éclatant en bouche, on ne ressent plus que le goût de l’ingrédient, pur. Un savant dosage des saveurs ainsi distillées sur notre palais permet d’accorder aux papilles le rôle qui leur est propre : celui de reconstituer une palette des goûts. « Déstructurer pour reconstruire impose de ne rien accepter comme immuable ». La sagesse de Thierry Marx est rappelée aux murs de l’espace qui reçoit le public.

Car plus qu’un concept à quatre mains, c’est bien une exposition que l’on vient visiter. Certes, on ne va pas au Laboratoire comme on va au musée, et le lieu se défend bien de toute muséographie classique. L’événement actuel n’est pas tout à fait une exposition scientifique, ni tout à fait une exposition d’arts visuels, ni tout à fait un concept de restauration. Mais l’arsenal de documentation en amont de la visite et le dispositif d’accueil sur les lieux sont bel et bien ceux d’un centre de création contemporaine. La pédagogie, entre autres maîtres mots, compose le credo de son processus. Á ceci près que l’équipe des médiateurs se change en une fourmilière de fonctions à activer au service du client, qui choisit son menu selon son budget… Pour le prix d’une visite, seul un café « simplement inspirant » agrémenté du « whif », chocolat à respirer, vous est offert en fin de parcours.

Six tables-écrans devant un bar à bento box asceptisé font l’essentiel de la scénographie, réservée à la dégustation. Elles reçoivent les images en mouvement de Mathilde de l’Ecotais, qui révèlent tout en masquant, par des procédés différenciés d’échelle et de vitesse, la composition des plats proposés. Un environnement sonore designé pour la rythmique de ces films, faits de ralentissements et d’à-coups soulignant les effets de surprise des recettes du chef, vous plonge dans un univers aussi impalpable que les billes de poire ou de mangue dont on vous sert une cuillérée, ou du chocolat en infiniment petites particules qui accompagne votre café… dont on taira ici la marque partenaire.

Il est regrettable que certains éléments restent cantonnés à la périphérie de cet espace de restauration. En effet, un second champ apparemment relégué à la documentation concentre les films, intéressants mais très peu valorisés, d’expérimentations scientifiques d’une part et du making-of de l’exposition d’autre part.
Les premiers sont la preuve étonnante et muette que la recherche scientifique produit des images à la valeur esthétique ajoutée : ici la vision microscopique et attentive des comportements d’une goutte d’eau et d’une bulle d’air, dont la lenteur laisse apprécier la finesse de cette fameuse membrane qui ceint un volume quasi-invisible. Il est stimulant de le comparer au second film, dont le montage compte la documentation des vidéos citées plus haut.  Le « off » de ces images contemplatives les augmente d’une violence qui vous extrait un instant des effets de surface de cette exposition : le procédé bref et sonore utilisé par la plasticienne écrase entre deux vitres transparentes une écrevisse, des tranches de poire ou une tomate entière.

Au visiteur donc, de recomposer l’expérience, au demeurant passionnante, de cette alchimie scientifico-culinaire que rien ne traduit mieux que la précieuse machine au fond à gauche de l’exposition. En fonctionnement permanent, elle produit les perles de saveur par création de gouttes également composées d’un ingrédient et d’alginate, qui en tombant dans un bain de chlorure de sodium se gélifient, ainsi prêtes à délivrer un goût inaltéré.

   

— Mathieu Bassée et Christophe Dubois, Bento box, 2008.
— Mathilde L’Ecotais, vidéos, 2008.