PHOTO | CRITIQUE

Dans la nuit / In the Dark

PEmmanuel Posnic
@12 Jan 2008

Le souvenir s’installe partout dans l’exposition «Dans la nuit / In the Dark». Marcelline Delbecq travaille sur la mémoire et l’invisible nichés dans la conscience collective. L’espace mental qu’elle décrit convoque un grand nombre de dispositifs sonores et visuels pour convaincre le spectateur qu’il y a dans l’image, et l’image cinéma notamment, plus à voir que l’image.

«Dans la Nuit / In the Dark» est la première exposition personnelle de l’artiste à Paris bien que son parcours s’enrichit déjà de nombreuses contributions (Crédac, Palais de Tokyo, Meymac, Frac Paca, entre autres depuis 2004).
Marcelline Delbecq développe dans ses prestations un travail sur la mémoire et l’invisible nichés dans la conscience collective. Le cinéma offre un socle impeccable pour percer à jour ses repères communs: «Dans la nuit / In the Dark» est une référence explicite au film muet réalisé par Charles Vanel en 1929 et au roman de Nabokov, Laughter in the Dark, où le personnage principal s’éprend d’une ouvreuse de cinéma qui le rendra pourtant aveugle.

Recollection, l’impression numérique qui attend le visiteur à l’entrée fige sur le papier des dizaines de façades de cinémas disparus, détruits avec le temps. Collections d’images, collections de films qui y ont été joués, collections d’émotions bercées par toutes ces séquences, tous ces acteurs. Le cinéma est cet écrin où se tend les passions, un miroir qui restitue en permanence les sentiments humains. D’où, pour Marcelline Delbecq, l’idée d’une collection sans cesse réinventée, exprimée par le néologisme de re-collection.

C’est la même résurgence de la mémoire qui suspend le regard du spectateur devant les Heavenly Series, cinq estampes numériques reprenant l’architecture des maisons de stars hollywoodiennes. Marcelline Delbecq a choisi celle-ci car l’histoire a rapproché un moment donné leurs propriétaires.
L’image donne très peu d’indications, le tracé bleuté du dessin de situation se perd dans le fond noir de l’estampe comme un souvenir qui a du mal à se reconstituer, ou plutôt qui ne retient que les indices de structure sans entrer dans la matière des éléments.
Il faut lire les textes qui accompagnent pour saisir le début d’un récit. Les personnages sont alors mis en scène et le décor, que l’image ne rendait pas à sa juste mesure, prend ici toute sa dimension.

Le souvenir s’installe partout dans cette exposition. Son fantôme s’immisce dans les images comme dans les fictions qui y sont racontées. Le miroir de l’entrée dans lequel se reflète le spectateur et la pensée interpellante d’un Autre invisible (« Don’t Stare At Me », He Whispers qui peut se traduire par «’Ne me fixe pas’, chuchote-t-il») déplace le spectre sur le territoire de l’intime en écho avec les estampes, et avec la pièce en angle surtout, intitulée Entre-vue que l’artiste a réalisée avec Vincent Lamouroux et l’actrice Elina Löwensohn.
C’est un écran aveugle au format cinéma flanqué de deux enceintes qui diffuse, en français puis en anglais, un texte écrit par Marcelline Delbecq et lu par Elina Löwenshon. Ce texte est la description d’un plan-séquence qui situe la scène dans une voiture arpentant une route tortueuse où se joue une forte tension à l’intérieur d’un couple. La discontinuité du chemin renvoie à chaque point de rupture qui oppose l’homme et la femme.

Un malaise, une déchirure que ne démentent pas les photographies de l’exposition. Shoot The Freak, cet écriteau de fête foraine qui, légèrement détourné de son contexte puisqu’il flotte accroché dans le ciel brumeux de Brooklyn, déplace le sens dans une invective aux accents purement violents.
Waiting For The Moon, un petit chapiteau dressé en pleine forêt, et Rideau, une grande tenture de scène d’où émerge entre les raies une lumière ou la promesse d’un spectacle qui s’annonce produisent le même rapport doucement décalé du réel, cette inquiétante étrangeté, ces mises en scène à la fois bucoliques et menaçantes qu’un Fritz Lang, un Tod Browning ou plus proche de nous un David Lynch n’auraient pas reniés.
La surface de l’image ne suffit plus, les éléments dissonants qu’y ajoutent Marcelline Delbecq plaident pour une déconstruction du plan qui profite à une forme d’introspection psychologique: creuser l’image pour y révéler sa vérité cachée, creuser l’image pour y découvrir l’exubérance derrière la placidité. Certainement ici, les travaux les plus convaincants d’une exposition où le spectateur se perd dans une scénographie un peu trop rigide, où les pièces s’enchaînent sans que la tension inhérente au projet de l’artiste n’entrave véritablement le parcours.

Mais malgré une déambulation quelque peu prévisible, on perçoit parfaitement les intentions de la jeune artiste pour décrire le potentiel à la fois critique, symbolique et suggestif du texte lu ou entendu comme vecteur de compréhension ou de substitution de l’image.

Traducciòn española : Maïté Diaz

Marcelline Delbecq
— Recollection, 2006. Impression numérique sur papier Archival mat. 100 x 80 cm.
— Mirror, 2006. Inox poli miroir. 8 x 203 cm.
— Heavenly Series, 2006. 5 impressions numérique sur papier Archival mat. 30 x 60 cm chaque.
— Entre-Vue, 2006. Pièce sonore pour voix. Réalisée avec Vincent Lamouroux. Voix: Elina Löwensohn. 12 mn. Platine CD, enceintes, CD numéroté, chevrons. Dimensions variables.
— Rideau, 2006. Photographie couleur contrecollée sur aluminium. 50 x 60 cm.
— Shoot The Freak, 2005. Impression numérique pigmentaire sur papier Archival mat. 30 x 40 cm.
— Close, 2005. Film couleur sur DVD. 4 mn 21.
— Silence Plateau, 2005. Néon teinté, peinture noire. 7 x 100 cm.
— Waiting For The Moon, 2006. Impression numérique sur papier Archival mat. 21,6 x 30 cm.

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