DANSE | SPECTACLE

Skid

31 Jan - 02 Fév 2019

Plateau aussi dépouillé qu'incliné, avec Skid, le chorégraphe Damien Jalet livre une pièce à la beauté abrupte. Conçu pour la Compagnie de Danse de l'Opéra de Göteborg (GöteborgsOperans Danskompani), le spectacle Skid hypnotise par son jeu d'ombres et de déséquilibres.

Un plateau blanc incliné à trente-quatre degrés (presque la moitié d’un angle droit), un jeu de lumières découpant des ombres nettes et multiples, et dix-sept danseurs pour peupler le dispositif… La pièce Skid (2017), du chorégraphe Damien Jalet pour la GöteborgsOperans Danskompani, cultive le spectaculaire. Déraper, dérapage… Le titre anglophone, Skid, donne sa couleur à l’ensemble. Avec des danseurs oscillant entre gouttes dégoulinantes et alpinistes partant à l’assaut des cimes. À la lisière du cirque et de l’acrobatie, le plateau — conçu par Jim Hodges et Carlos Marques da Cruz — plonge directement dans la fosse d’orchestre. Tandis que l’éclairage — orchestré par Joakim Brink — découpe une dentelle de petits personnages en mouvement, interprétés par les danseurs de la compagnie de l’Opéra de Göteborg (Suède). Chaînes multiples et maillons, les danseurs sont tous habillés de la même manière — une création de Jean-Paul Lespagnard. Le tout formant ainsi un ballet visuel hypnotique.

Skid de Damien Jalet (GöteborgsOperans Danskompani) : petit précis d’équilibre

Métaphore des forces contradictoires qui modèlent la vie, entre désir de s’élever et besoin de se laisser aller, Skid possède le côté ludique des toboggans. Mais pente aiguë, si les glissades ne cessent d’enchanter les enfants, elles peuvent aussi lasser les adultes. Encore, encore, et encore, repartir à l’assaut d’un sommet sans objet. Plan incliné n’autorisant aucun repos, il faut avancer ou glisser. Gravir, ou chuter. Chercher en permanence à composer un équilibre, dans un environnement hostile à tout équilibre. Dispositif conçu par rapport à la constante de l’accélération de la pesanteur terrestre (9,8 m·s-2), le décor de Skid plonge les danseurs dans l’inconstance. Pour eux, il n’y a d’échappatoire que par le bas ou le haut. Tandis que la ligne de crête n’offre aucune récompense, aucun repos d’où contempler le monde ou le chemin parcouru. Tout au plus marque-t-elle la limite d’apparition-disparition des danseurs.

Skid : jeux d’ombres sur plan incliné et danse en terrain mi-horizontal mi-vertical

Face au dispositif spartiate de Skid, ne reste donc que les autres danseurs pour trouver du souffle. Combinant leurs forces et ombres, les danseurs s’allient et se défont, peignant ainsi des ombres longues et kaléidoscopiques. Le beau (kalos, en grec) vient alors faire contrepoint à ce décor relevant presque de la torture. Poésie de la chute comme de l’ascension, Skid explore les possibles face à la déstabilisation. Et plus qu’une métaphore, la pièce offre une démonstration en acte de la force de la beauté. Capable de transformer le pénible en expérience plaisante. Réjouissance des yeux, Skid ne renonce à aucune virtuosité. Tandis que la composition sonore de Christian Fennesz, une ambient riche en textures électroniques, dessine des paysages émotionnels fluctuants. Dispositif aussi minimaliste qu’abrupt, Skid n’en dessine pas moins quantités d’entrelacs. Une forêt d’ombres et de sons, venant peupler un plan inhospitalier. À découvrir en première française à Chaillot.

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