ART | CRITIQUE

Cyprien Gaillard, Desniansky Raion

PAnne-Lou Vicente
@12 Jan 2008

Composée de trois volets, la vidéo de Cyprien Gaillard Desniansky Raion, mise en musique par son groupe The Landsc Apes, se cristallise sur la violence du monde et son absurdité. Sur fond de destruction et d’affrontement, elle pose la question de l’événement et de sa mise en scène. 

La dernière vidéo de Cyprien Gaillard, mise en musique par son groupe The Landsc Apes, se détache nettement en trois volets. Le premier montre un violent affrontement entre deux groupes sur le parking d’une cité de la banlieue de Saint-Pétersbourg, en Russie.
Identifiables par la couleur de leurs vêtements, à l’image de deux équipes de football, les deux «bandes» manifestement ennemies se livrent à une véritable bataille rangée. La vidéo, vraisemblablement filmée depuis la fenêtre d’un immeuble alentour, donne à voir toute la chorégraphie de l’émeute: lles deux masses s’entrechoquent, se mêlent, s’écartent pour s’affronter de nouveau puis se disperser enfin, jusqu’à ce que l’une prenne la fuite, se résignant subitement à l’échec.
La scène fascine par tant de violence, d’incongruité et de beauté, son caractère esthétique étant amplifié par une bande son musicale aux accents romantiques.

Le second volet de Desniansky Raion n’est pas moins percutant: une vidéo, récupérée par l’artiste, procède à une interrogation sur la notion d’événement — sa scénarisation, voire sa «spectacularisation». La scène se déroule dans les années 1980 à Meaux, en région parisienne. La destruction d’une barre HLM, qui en soi ne constitue pas un événement a priori, devient prétexte à un gigantesque spectacle son et lumière: projections vidéo sur la façade de l’immeuble, feux d’artifice sur fond de discours officiel du maire de Meaux et de mélodies de Jean-Michel Jarre, que la bande son occulte ici volontairement.
En guise de bouquet final, hautement symbolique, le bâtiment s’embrase et rapidement s’effondre, charriant dans ses décombres les utopies sociales véhiculées par l’urbanisme des années 70-80. S’il faut détruire pour (re)construire, Cyprien Gaillard souligne ici l’absurdité de pareille entreprise: l’organisation en grande pompe d’un spectacle à destination des habitants du quartier en lieu et place d’une imminente ruine…

Le troisième et dernier volet de la vidéo de Cyprien Gaillard achève de tisser une véritable poétique du chaos : un ULM, à bord duquel est embarquée une caméra, survole sans autorisation le quartier Desniansky Raion, dans la banlieue enneigée de Kiev (Biélorussie).
La multitude austère d’immeubles d’habitation, d’abord désordonnée, fait bientôt place à un ensemble de tours agencées en un cercle parfait, évoquant le monument mégalithique de Stonehenge, en Angleterre.

L’exercice rappelle la prégnance dans l’œuvre de l’artiste des figures architecturales, déjà présentes dans la série Belief in The Age of Desbelief, représentant systématiquement une tour d’habitation moderne implantée dans une gravure hollandaise de paysage du XVIIe siècle, série que l’on peut voir dans une seconde salle, aux côtés d’une photographie issue de la série Real Remnants of Fictive Wars (Part 6). L’une des fameuses Spiral Jetty de l’artiste américain Robert Smithson apparaît envahie par un immense nuage de fumée causé par le déclenchement d’un extincteur industriel dans un espace-temps choisi par l’artiste, se livrant ainsi à un acte de pur vandalisme.

L’exposition montre selon différents angles à quel point Cyprien Gaillard se plaît à questionner l’origine de l’image et son statut, à la transformer, la transgresser, en vue d’élaborer une œuvre iconoclaste proche du Land Art qui donne à voir et à penser la beauté violente du chaos.

Cyprien Gaillard
— Desniansky Raion, 2007. Vidéo. 30 min.
— Real Remnants of Fictive Wars VI, 2007. Impression lambda. 100 x 150 cm.
— Belief in the Age of Disbelief, Les deux chemins au ruisseau/étape VIII, 2005. Gravure. 18 x 20 cm.

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