ÉCHOS
24 Fév 2010

Cure de jouvence à Wuppertal

PNicolas Villodre
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Transmettre l’art de Pina Bausch à des adolescents par la reprise du ballet Kontakthof... tel est le défi de cette entreprise pédagogique, filmée par Anne Linsel et Rainer Hoffmann et présentée dans le cadre du Festival de Berlin. Un documentaire qui parvient à transcender la simple expérience éducative, chargé de l’intensité de la présence de feue la chorégraphe...

Sous-titré Des adolescents dansent Kontakthof de Pina Bausch, le film d’Anne Linsel et Rainer Hoffmann est la première bonne surprise de cette soixantième Berlinale qui, une fois étant ici coutume, a fait son plein de navets en tous genres. Projeté en pellicule, ce qui est devenu rarissime à l’heure du D-Cinema — le thriller de Scorsese était également couché sur ce vieux support fragile, qui s’avère être un véritable piège à poussière, à scratches et à rayures, comparé au numérique décrypté et agrandi par la lanterne magique du Barco —, on imagine l’adresse du caméraman, Rainer Hoffmann, qui est parvenu à se faire oublier et à se faufiler un peu partout pour pouvoir obtenir des réactions « spontanées » de la part des protagonistes.

Le milieu de la danse allemande était présent à cette matinée de gala. Aussi bien Dominique Mercy, l’un des solistes du Tanztheater de Wuppertal, qui a salué les milliers de spectateurs rassemblés dans cette salle du Friedrichstadtpalast (un théâtre improbable, monstrueux qui, heureusement, ne ressemble à rien d’autre du point de vue architectural), que Lutz Gregor, le réalisateur spécialisé dans le film de danse contemporaine ou que le nouveau venu dans ce domaine, Wim Wenders, venu en famille, dont on attend avec curiosité le résultat de sa collaboration avec Pina Bausch.

Le pari de faire jouer une pièce historique de la chorégraphe allemande récemment disparue par des adolescents était risqué et on s’attendait à voir un produit fini relevant de la méthode Assimil de l’Ausdrucktanz ou de l’ouvrage du type LeTanztheater expliqué aux nuls. D’autant que, formellement parlant, les auteurs n’ont aucunement cherché à innover en matière de documentaire télé. Sagement, les scènes descriptives se succèdent et sont entrecoupées de contrechamps signifiants ou d’entretiens avec les personnages du film. Logiquement, le travail de répétition aboutit au spectacle de fin d’année…

Mais le film est étonnamment réussi. La mayonnaise prend illico presto, dès les premiers plans. On a droit à un savant mélange de savoir-faire des deux répétitrices issues de la compagnie bauschienne, Jo-Ann Endicott et Bénédicte Billiet, qui établissent des rapports justes avec les enfants. Ces derniers ont fait l’objet d’un véritable casting, présélectionnés dans une dizaine d’écoles de la ville industrielle de Wuppertal. Le temps d’une année scolaire, ils ont appris leur rôle en répétant chaque samedi avec les deux danseuses professionnelles.

Le moment le plus redouté, celui de la venue de la chorégraphe allemande qui doit donner son avis sur le travail mais aussi juger personnellement les solistes qui se partageront la vedette du show, se passe sans aucun heurt. Et la chorégraphe, plus loquace que jamais, semble heureuse de cette expérience en tous points de vue remarquable.

Du coup, cette dernière apparition de Pina Bausch à l’écran prend une dimension exemplaire et historique assez rare. Ce qui aurait pu n’être qu’une démarche pédagogique, un atelier de danse de plus dans un cadre strictement (tristement) scolaire ou une tentative de vulgarisation de la technique du théâtre dansé wuppertalien, devient la transmission d’un secret qui, c’est sans doute cela le plus étrange, paraît à la portée de tous.

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