DANSE | CRITIQUE

Cribles. Live

PCéline Piettre
@17 Fév 2011

Déjà présente dans Le Grand Dehors, la ronde devient le sujet de la nouvelle pièce d’Emmanuelle Huynh. Accompagnée par la musique de Iannis Xenakis, la chorégraphe régénére avec brio une pratique populaire éculée, inaugurant en force la deuxième édition du Nouveau Festival.

Variation sur le motif de la ronde ― la ronde enfantine et son alter ego codifié : la traditionnelle farandole à la niçoise ― Cribles en explore jusqu’à l’usure toutes les facettes stylistiques et symboliques. L’expérience pourrait être aussi laborieuse que l’initiative nous paraît à priori scolaire. Elle est finalement réjouissante ! Emmanuelle Huynh parvient à dépasser le simple exercice de style, le classique travail en atelier, pour atteindre l’universel. La ronde et ses déclinaisons formelles ouvrent une porte sur l’inconscient collectif et révèlent subtilement les phénomènes liées à la construction du groupe social. Ses enthousiasmes, ses rites d’organisation, ses enjeux de pouvoir, ses dérives.

La pièce commence comme elle se termine, formant elle même une boucle, selon une dramaturgie qui découle directement du motif. Les danseurs jouent « à chat ». Ils se poursuivent sur la scène en une anarchie joyeuse, avant de se lier, main dans la main, une heure durant. Autour d’eux, composant un ensemble plus vaste qui s’étend du plateau aux gradins ― ronde autour de la ronde ― les six musiciens bâtissent une véritable architecture sonore. Leurs percussions, aériennes ou tonitruantes, se répondent d’un bout à l’autre de la salle ― écho circulaire au mouvement, relai entre les corps et l’espace alentour. La partition musicale, la très belle Persephassa de Iannis Xenakis, est à la fois le support et le liant de la danse, dont elle crible le flux.

Qu’elle soit festive ou rituelle, ludique ou martiale, sautillante ou processionnelle, la ronde impose l’unisson à ses participants. Ils doivent respecter une cadence, maintenir une régularité. Or Emmanuelle Huynh en grippe les rouages, désarticule ce corps commun, en désaccorde l’harmonie pour mettre au jour l’individu et ses revendications d’existence : trépignements et initiatives isolées. « Dans cette communauté, la singularité surgit sans cesse, le « un » apparaît dans son dialogue dynamique aux autres » explique t’elle. Sa ronde est tantôt un monde clos sur lui-même, avec ses tensions et ses ostracismes, tantôt une ligne ouverte sur l’exploration de nouveaux territoires. Ici, le lien est synonyme d’asservissement ; ailleurs de force concentrée, à l’image de ce danseur, tombé à terre, d’abord « entraîné » par un élan collectif puis finalement « traîné » par ses mêmes congénères.

Entre liés et déliés, densité et fluidité, la ronde se déploie. Des images jaillissent, de La Liberté guidant le peuple au Radeau de la Méduse, des transes dionysiaques aux farandoles de mariage. Les corps, laissés libres, semblent avoir force d’initiative. On a l’impression d’une danse en train de se construire, parfois maladroite. Une dimension expérimentale, tâtonnante, qui renforce justement l’expérience de la singularité, le vrai enjeu de Cribles Live, et sa principale qualité.

― Chorégraphie : Emmanuelle Huynh
― Musique : Iannis Xenakis
― Fabrication et interprétation de la danse : Jérôme Andrieu, Yaïr Barelli, Nuno Bizarro, Yoann Demichelis, Marlène Monteiro Freitas, Madeleine Fournier, Kerem Gelebek, Lénio Kaklea, Aline Landreau, Ayse Orhon et Betty Tchomanga
― Musique : Iannis Xenakis, Persephassa, œuvre pour six percussionnistes, 1969
― Persephassa est interprétée par: les Percussions Rhizome (Didier Breton, Jean-Baptiste Couturier, Alain Durandière, Patrice Legeay, Nicolas Marchand, Hédy Rejiba)
― Assistante : Fanny de Chaillé
― Lumières : Yannick Fouassier
― Scénographie et films : Jocelyn Cottencin
― Vêtements : Michèle Amet / remerciements à Geneviève Verseau

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