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Corps révélés, corps dévoilés

18 Mar - 22 Mai 2011
Vernissage le 17 Mar 2011

Gaëtan Viaris de Lesegno photographie en noir et blanc des toiles de maîtres. L'artiste ne s’arrête pourtant pas à ces vues figées, mais leur ajoute une dimension temporelle presque insensible.

Gaëtan Viaris de Lesegno
Corps révélés, corps dévoilés


Des photographies présentées par Gaëtan Viaris de Lesegno au Musée d’art Thomas-Henry de Cherbourg-Octeville, il est possible que le visiteur habituel s’en fasse d’abord un jeu. Reconnaître les œuvres originelles choisies par le photographe est certainement un test de mémoire auquel bien peu renonceront; il n’est pas dit que tous le réussiront.

Enfermer dans un tel jeu «l’anamorphose d’un regard» proposée par Gaëtan Viaris de Lesegno ne saurait pourtant rendre pleinement justice à sa démarche. Car il y a plus, bien sûr: comment, sinon, les œuvres photographiées pourraient-elles posséder un tel air de famille, au-delà des siècles, des écoles et même des techniques? C’est le cas en premier lieu, et de manière spectaculaire, du majestueux et on ne peut plus viril Patrocle de David, rendu semblable à la frêle et lisse Jeune fille à l’épine de Lefèvre-Deslongchamps.

Le cadrage, le grain, le noir et le blanc ne laissent de ces formes apparemment dissemblables que leur anatomie originelle, les faisant se répondre, véritablement, dos à dos. On peut en dire autant du Christ mort de la Pietà de Poussin et du cadavre au premier plan de l’Edith d’Horace Vernet, dont la disposition symétrique évoque un effet de miroir. Contrairement à la chronologie habituelle, c’est pourtant le Poussin et sa matière abîmée, devenue tellement moderne, qui semble le reflet trouble du trop net Vernet.

Cette «parenté par le cadrage» s’avère plus prégnante encore quand le photographe s’empare de ces peintres italiens des XVIe et XVIIe siècle qu’il affectionne tant et qui sont comme exaltés par sa propre technique. Ainsi de cet Isaac qui ressemble à un Saint Sébastien en dépit des Ecritures et de la main bien différente qui les a peints — Allori contre Schedoni. Si Isaac et Sébastien deviennent frères aux yeux du photographe, c’est par leur anatomie, bien entendu, mais aussi par ce drapé lumineux qui les couvre et les montre tout à la fois. Ainsi se dévoile, presque miraculeusement, un plan inaperçu d’une peinture que l’on croyait connaître, un pan d’autant plus évident que le dicte le format carré.

Le photographe ne s’arrête pourtant pas à ces vues figées, mais leur ajoute une dimension temporelle presque insensible. Les planches-contacts d’après l’Allori et le Schedoni montrent bien une prise identique tout au long d’un film 24×36 qui évoque les dimensions d’un écran. C’est toujours la même photo, mais c’en est pourtant toujours une autre. Subrepticement, le cadrage devient montage.

La même intention préside à l’élaboration du «triptyque» formé à partir du Patrocle de David, dans lequel la prise de vue varie légèrement, de gauche à droite, mettant le regard en mouvement. Ainsi également du Hyacinthe, peint par un suiveur de Caravage tellement méritoire qu’on a peine à le croire encore anonyme. Le cadrage bouge cette fois verticalement, soulignant le mouvement des quatre bras ballants: le «triptyque» ne pouvait que faire écho à cette ligne de tension et s’ordonne dans un sens identique à celui d’une pellicule de cinéma. Le montage prend forme.

Reste, dans l’exposition, une œuvre qui pourrait démentir une telle poétique du cadrage au sens cinématographique. Ce qui semble un tableau entier n’est pourtant qu’un photomontage, réalisé à partir d’un tableau de Palma le Jeune et d’un autre de Pignoni. Au même titre que toutes les autres, cette image est révélatrice d’un regard particulier. Un regard qui nous permet de voir les œuvres du musée Thomas-Henry avec une joie renouvelée.
Texte de Neville Rowley

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