DANSE | CRITIQUE

Corps Collector

S
PNicolas Villodre
@12 Juil 2010

Sur l'initiative de Vanessa Le Mat, huit performers investissent les moindres recoins du Plateau à travers un dispositif déambulatoire qui relie la figure du chorégraphe à celle du collectionneur

Le titre de cette Å“uvre collective initiée par Vanessa Le Mat, comme, du reste, le concept même de performance, est ambigu. Le corps collector n’est pas simplement celui d’un individu qui chercherait à réunir des éléments épars, dignes d’être conservés ou assemblés. Ni celui d’un appareillage animal, d’un quelconque système social ou d’une fonction anatomique particulière. Étymologiquement, collector, mot latin, indique une proximité avec la tâche régalienne qui consiste à taxer la population, avec le « rôle » fiscal du « percepteur » d’impôts, qui peut aller, dans certains cas, jusqu’au racket mafieux, avec le «fund rising» qui relève de la récolte d’aumônes ou de dons par des « trésoriers » religieux ou politiques inspirant généralement confiance…

Il semblerait que collector soit ici utilisé aussi comme adjectif, au sens d’objet de collection – qualificatif qu’on emploie de façon récurrente de nos jours, un peu comme celui de «culte» à propos de certains films. Le «corps collector» est celui du collectionneur, pas simplement celui du collecteur. Un corps-unité, corps-collage, dans un monde poussant à la spécialisation ou à la schize…

Les seuls à flâner dans cette «performance déambulatoire» sont les spectateurs. En effet, les acteurs ont été répartis dans des coins et recoins de la galerie, où ils font sagement ce qu’ils ont à faire, sans sortir de leur case. Certains sont impassibles, silencieux, immobiles, et même couchés. D’autres hurlent gentiment et cabotinent comme les comédiens du théâtre métaphysique des années soixante. Les soliloques de l’un troublent le mutisme de l’autre. Un couple artistique joue aux jeunes mariés en se tenant par le bras. Dans la pièce du fond, en léger contrebas, un jeune homme dénudé, le caleçon bien maintenu par une ceinture en forme de cartouchière, passe son temps à se coller des bonbons acidulés sur tout le corps, comme s’il s’agissait de sangsues multicolores. Cette action, intitulée Collection de salives, est sans doute la prestation la plus spectaculaire de la soirée.

Et Vanessa Le Mat? Que devient-elle? Elle a produit l’événement et a invité ses collègues à développer, après brainstorming, l’une des thématiques imaginées sur les lieux du crime, in situ, dans un lieu chargé d’Histoire et d’histoires, pratiquement là où Alice Guy réalisa le premier film de fiction de l’histoire du cinéma (La Fée aux choux, 1896), là où les réalisateurs naturalistes d’après-guerre mirent au point la « dramatique » télé à la française — celle dite de l’ «Ecole des Buttes».

Elle a aussi participé à l’événement. Elle a dansé. En baskets, comme il se doit. Dans un style qui n’appartient qu’à elle, léger, nerveux, rock, gracieux et faussement insouciant. Détachée ou presque. Tenant compte tout de même du cadre — des dessins figuratifs accrochés aux cimaises, notamment de celui qui lui a inspiré la jolie robe moulante à pois rouges dont elle est parée — mais aussi du public de voyeurs-chalands, parfois impatients, souvent inattentifs, dissipés, toujours difficiles à captiver. La clientèle a donc fait le tour des stands de cette brocante d’art. Le va et le vient.

— Proposition: Vanessa Le Mat
— De et avec: Matthieu Bajolet, Damien Chardonnet-Darmaillacq, Krassen Krastev, Axelle lagier, Vanessa Le Mat, Sandrine Maisonneuve, Yvonnick Muller, Elodie Sicard

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