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Connected World

PPierre-Évariste Douaire
@12 Jan 2008

Mariko Mori propose des images mentales. Plongeant dans les méandres du cerveau et du psychisme, elle nous livre les âmes de volontaires qui se sont prêtés au jeu du portrait intérieur. Grâce à l’assistance d’un logiciel, les ondes cérébrales des cobayes sont transformées en immense tableau organique et aquatique.

Icône technologique et spirituelle du XXIe siècle, Mariko Mori incarne les contradictions de notre époque. Entre Orient et Occident, elle est surtout la mémoire et l’avenir du monde modernisé qui laisse de côté l’humain. À travers ses installations et autres performances elle se met en avant pour dénoncer et souligner la vacuité de notre monde qui ne va pas forcément bien. À la recherche de valeurs, elle prend position en créant l’événement. Son rôle d’artiste consiste entre autre à faire bouger les consciences. Celles de son pays, le Japon, sont difficiles à faire évoluer. Comme une Cindy Sherman nippone, elle se grime des fards des adolescentes pré-pubères pour dénoncer le machisme de l’archipel. Féministe manga, elle se raccourcit les jupes pour hisser hauts ses slogans et ses revendications.

Comme la Vénus sortant des flots de Boticelli, Mariko Mori naît de l’écume de l’air du temps. Comme une extraterrestre elle débarque dans le métro en combinaison d’astronaute. Elles s’extériorise par rapport à notre situation quotidienne. Venant d’un au-delà, elle nous regarde à travers une bulle, un écran ou un sarcophage de verre.
Son univers très reconnaissable, kitsch manga, est marqué par une recherche de spiritualité difficilement perceptible pour un public occidental. Toutefois même si la profondeur de son art est difficilement transmissible il n’en reste pas moins très explicite à une population en quête de sens. La croisée des chemins technologiques et shamaniques est très tendance — voir à ce sujet l’exposition de la Fondation Cartier «Yanomami, l’esprit de la forêt» — , et pose les problèmes d’une civilisation qui vit désormais dans la peur du choc des cultures. Après l’opposition Est-Ouest, Nord-Sud, voici le monde affolé par un affrontement contre un ennemi sans patrie ni armée prêt à frapper n’importe où, n’importe qui et n’importe quand.

Depuis un peu moins de dix ans, le travail de la japonaise précède ou accompagne cette peur individuelle et collective que l’on ressent en Occident. Toutefois il est intéressant de remarquer qu’au-delà des prises de positions que l’on a souvent mis en valeur chez Mori, il y a toute une partie de son travail, la plus importante d’ailleurs, qui se situe au-delà des contingences actuelles. Si proche et si lointaine sa culture ne cesse de faire des aller-retour entre l’Est et l’Ouest.
La vision qu’elle nous propose se veut au-delà du simple regard immédiat. Voir entre les choses, percevoir ce que l’on ne soupçonne pas est un élément très fort dans sa pratique artistique. Le modèle qu’elle revendique, mais surtout qu’elle utilise est celle de la goutte d’eau, microcosme en soi mais promesse d’englober le monde et l’univers. Elle nous aide à percevoir ces infinités de perceptions, en cela elle rejoint autant Leibniz que l’imagerie médicale assistée par ordinateur.
Le philosophe et son paradigme de la Monadologie (1714) part sur un principe d’architecture cristalline. Chaque fragment de la cathédrale éclaire le tout et une partie. La monade est l’élément de toute chose, il est c’est atome spirituel. Mariko Mori à travers les différentes capsules dans lesquelles elle s’enferme participe à cette filiation de l’élément premier et combinatoire avec le monde. Placé au centre d’un sarcophage de verre, Beginning of the End, à l’instar d’une héroïne endormie par un puissant filtre, elle se laisse photographier devant les pyramides égyptiennes ou sur le Parvis de la Défense à Paris.

L’œuf de cristal qui germe et entretient la vie, est à la fois diaphane et aqueux. Désireuse de percer les méandres de l’être humain, l’artiste propose au spectateur les photographies en tondo de pensées cérébrales et psychiques. Wave UFO transforme les ondes électriques du cerveau en une image en 2D. Le résultat ressemble à la création du monde, à un immense big bang irisé. Comme l’annonçait Kubrick dans son Odyssée de l’espace, l’œil contient l’univers, il est un puit de lumières cosmiques ou se perd la création du cosmos. Les tableaux présentés font partie de cet imaginaire philosophique, ils sont pris dans une couleur en extension, et dans une pensée qui ne cesse de croître.

Mariko Mori
— Connected World 1, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm.
— Connected World 2, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm.
— Connected World 3, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm.
— Connected World 4, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm.
— Connected World 5, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm.
— Connected World 6, 2003. Tirage cibachrome, plexiglas. 122 cm de diamètre x 7,60 cm. 

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