ART | CRITIQUE

Conclusions

PAurélie Bousquet
@31 Oct 2008

Comment ne pas être intrigué par le titre de la série de huit toiles présentées par Ger van Elk ? Cette exposition — à ne pas manquer — marque un point important dans l’œuvre de l’artiste.

La galerie Jean Brolly accueille l’exposition de Ger van Elk intitulée Conclusions. Depuis sa participation à l’exposition When Attitude Become Form (Harald Szeemann) en 1969, l’artiste ne s’est guère éloigné de ses sujets de prédilection, tels le portrait, la nature morte ou le paysage. C’est autour de ce dernier que gravitent les toiles présentées aujourd’hui et réalisées en 2008.

Quatre d’entre elles ont pour titre Saint Moritz — prestigieuse station de sports d’hiver Suisse, où neige, soleil et jet set se donnent rendez-vous. Les quatre autres doivent leur couleur dominante aux paysages du Mont Doré et de Clermont-Ferrand. L’on croit d’ailleurs deviner la cathédrale Notre-Dame-de-l’Assomption, construite en pierre de Volvic.

Ce sont donc huit toiles qui se présentent à nous en tant que Conclusions. De part et d’autre de la galerie sont accrochées ce qui, à première vue, semblent être des monochromes blancs d’un côté et noirs de l’autre.
Il apparaît ensuite qu’ils ne sont nullement identiques et que ce ne sont pas à proprement parler des monochromes si l’on considère la tranche du tableau.

Pour parvenir au résultat escompté, Ger van Elk tend une photographie, préalablement imprimée sur une toile, sur un châssis. Il prend soin de bien recouvrir les bords: ceux-ci resteront tels quels. L’artiste va intervenir uniquement sur la face du tableau. Il va méticuleusement recouvrir la toile — et ainsi la photographie — de plusieurs couches de peinture. La couleur de la peinture dépend du bord de la toile ; le résultat obtenu synthétise la couleur dominante de la photographie.

Chaque photographie étant différente, aucune toile n’est identique à l’autre, chacune dévoilant sa propre nature. Dans le cas des Saint Moritz, nous avons à faire à quatre paysages enneigés : par le travail de l’artiste, les quatre toiles sont devenues blanches mais conservent toutes leur spécificité. La surface monochrome est l’aboutissement d’une méthode presque hyperréaliste.

La galerie présente également Birds Flying Henri Cross et Snow Over Signac – Les balises. Ce sont deux pièces réalisées à partir de peintures des pointillistes Henri Cross et Paul Signac.
Dans la première, le tableau, envahi par un groupe d’oiseaux, devient blanc. Il en est de même pour le second, mais cela advient par le brouillage des points de l’image. Ces deux peintures de paysage se remplissent et s’épurent jusqu’au blanc. L’on notera la présentation sous marie-louise, d’ordinaire employée pour les photographies et l’importance du cadre, double cadre même, qui délimite, met en valeur, désigne l’art.
Ger van Elk nous montre une fois encore son goût pour le jeu sur et avec les codes. Ces deux pièces éclairent, complètent, à leur façon les conclusions dévoilées.

Le cadre, dans les Conclusions, se fait plus discret, car réduit à la tranche des tableaux, mais il est fondamental. C’est de lui que part le processus d’élaboration pictural. C’est dans le cadre que se fonde l’origine de la peinture de Ger van Elk. Dans les vidéos, on assiste à une déconstruction/construction par une succession d’images; avec les toiles, celle-ci est élaborée par une succession de couches de peinture, par plusieurs couches de couches pour ainsi dire. L’on pourrait considérer cela à la lumière d’une œuvre plus ancienne telle que Paysage saignant (Pressure Sandwich) de 1991, par exemple.

Avec ces huit pièces, nous sommes face à des paysages dont l’artiste a extrait l’essence. L’on pourrait penser qu’ils se montrent à nous dans leur plus grande vérité.

L’on remarquera toutefois que Ger van Elk est absent de ces paysages. Il s’est maintenu hors de la représentation contrairement à certaines de ses œuvres précédentes. Également, absence de symétrie, de division de l’espace ou peut-être, atteinte de l’équilibre.

Si l’on compare ces paysages à d’autres, que l’artiste avait réalisé antérieurement, ce qui frappe, c’est l’abandon de la ligne de partage. Quand on songe à Kinselmeer. Watou (2000) ou à Hollands Landschap, installation réalisée au Musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam (1999), la ligne d’horizon est centrale. Elle porte l’œuvre. Ici, soit elle a disparu, soit elle s’est décuplée pour remplir tout l’espace. Soit il n’y en a pas, soit il n’y a qu’elle.
On peut penser que Ger van Elk a décidé de supprimer ce qui n’est qu’une convention, une norme, cette ligne d’horizon qui n’existe pas en réalité. Comme le souligne Jacinto Lageira dans son texte Un art contre nature, « ce qui intéresse Van Elk est une relation à la nature vue à travers les différentes lentilles de la culture et de l’Histoire de l’art, ce qui suppose à la fois une reformulation des images archétypales que nous connaissons et une refiguration de ces formes artistiques fixées, classées, déterminées, qui veut s’émanciper de son histoire» (D’après Ger van Elk, La lettre volée, 2002).

Loin de poser un point final à nos interrogations concernant l’art, les conclusions de Ger van Elk, en créent de nouvelles. Connaissant le désir d’authenticité de l’artiste, peut-être oserons-nous avancer que la méthode utilisée pour aboutir aux huit toiles formant Conclusions est celle qui garantit la plus grande fidélité dans la représentation, la plus grande objectivité même – la peinture collant au plus près de la photographie: une conclusion pourrait ainsi être que la quête de vérité en peinture aboutit au monochrome.

Ger van Elk
— Saint Moritz, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Saint Moritz, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Saint Moritz, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Saint Moritz, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Clermont-Ferrand, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Clermont-Ferrand, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Le Mont-Dore, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Le Mont-Dore, 2008. Acrylique sur jet d’encre sur toile. 96,5 x 102 cm.
— Birds Flying Henri Cross, 2007-20008. Disque dur, écran plat. 70 x 88 cm / 30 x 37,5 cm.
— Snow Over Signac. Les balises, 2005. Disque dur, écran plat. 70 x 88 cm / 30 x 37,5 cm.
— Kinselmeer. Watou, 2000. Cibachrome, plexiglas et peinture. 77 x 145 cm.

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