ART | CRITIQUE

Conatus (pilote)

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Principalement constituée de mobiles, l’exposition présente des objets en accord avec cette démarche de Boris Achour qui se veut en mouvement perpétuel et, comme eux, en équilibre instable…

Actif depuis 1993, l’artiste Boris Achour n’a cessé au cours de ses expositions de passer d’un medium à un autre, rendant l’ensemble de son travail difficile à cerner. Lors de nombreux entretiens, il s’explique sur cette hétérogénéité qu’il présente comme un «jeu de déplacement permanent». Privilégier l’énergie du devenir aux formes réifiées et l’investigation à la posture dogmatique, beau programme, certes, mais qui n’empêche pas de nous donner parfois envie de dire qu’on connaît la chanson…
Mais surprise à la galerie Vallois où l’artiste a donné à sa pensée la forme séduisante d’une constellation de mobiles sans renoncer à ses obsessions.

Cette nouvelle proposition synthétise en effet, sans pour autant les capitaliser, des paramètres depuis longtemps à l’œuvre dans le travail de l’artiste.
Principalement constituée de mobiles, la structure des objets s’accorde à la démarche de l’artiste qui se veut en mouvement perpétuel. Leur équilibre instable ne tient d’ailleurs parfois qu’à un tour de sparadrap!

Suspendus par des crochets à l’armature du mobile, les éléments qui les constituent se présentent comme des constellations précaires, des configurations possibles mais jamais nécessaires. Les mêmes éléments apparaissent d’ailleurs d’un mobile à l’ autre, en différentes configurations qui signalent leur caractère interchangeable : «ou bien…, ou bien», tel est le credo de l’artiste.

En faisant tenir ensemble des formes, renvoyant à des univers aussi différents que l’art minimal ou la science-fiction, la structure arborescente de ces mobiles renvoie également à l’idée de pensée rhizomatique développée par Deleuze et qui fascine de toute évidence l’artiste.

Mais l’exposition intitulée «Conatus» fait surtout référence à Spinoza, qui souligne par ce concept la joie que procure au sujet le fait de s’accomplir à travers des actes.
Le caractère bricolé des mobiles souligne d’emblée ce plaisir de la trouvaille issu du maniement de matériaux a priori sans intérêt. Qui eut cru, par exemple, qu’on puisse en agençant des pailles entre elles réaliser la parodie convaincante d’une sculpture cinétique? Le fait de recourir à des matériaux triviaux pour les transformer en des propositions plastiquement intéressantes focalise l’intérêt de l’œuvre sur l’acte créateur qui s’assimile à leur réappropriation joyeuse, à une forme d’intelligence des choses directement en acte.

De ce point de vue, ceci n’est pas sans faire penser aux Actions peu, série d’interventions effectuées par l’artiste dans la rue de manière tout à fait minimale et précaire. Il s’y affirmait finalement cette même idée d’exister par l’acte.
Trouver les actes justes qui nous accomplissent, tel était finalement l’idée de Boris Achour alors en mal de galerie et préférant à la tour d’ivoire illusoire de l’atelier une démarche affirmative d’inscription de soi dans l’espace public, ne serait-ce que pour y faire bouger des choses infimes. Car à quoi cela sert-il d’être artiste si l’on ne s’inscrit pas dans le monde?
Les Actions peu, ou «Deviens ce que tu es…»

Cinquante neufs néons disposés sur les cimaises de la galerie forment les mots: «Conatus (pilote)». Ils correspondant aux cinquante neufs jours que dure l’exposition et s’allument un par un, chaque jour. Allusion peut-être au dispositif de la série télévisée se dévoilant dans le temps, mais aussi à cette forme dynamique de la connaissance dont il est également question dans l’éthique spinozienne.

Bien que cette nouvelle exposition paraisse se distinguer des précédentes par le recours à des formes non-déjà existantes, Achour ré-inscrit malgré tout celles-ci dans le contexte d’un prélèvement.
Une vidéo nous le montre, puisant un à un, comme dans un réservoir de formes, les éléments figurant sur les mobiles. Manière de court-circuiter à nouveau l’illusion d’une création qui aurait été faite ex-nihilo. Achour souligne l’apport de ces acteurs multiples de l’histoire des formes, connectant sa recherche «d’ici et maintenant» à l’histoire polyphonique des formes, rejouant finalement les recherches plastiques antérieures d’un Donald Judd, d’un Franz West ou d’El Lissitzky, pour y superposer les siennes.

Cette tentative de dilatation de «l’ici et maintenant» génère également ces sculptures parodiant une préhistoire des formes: stalactite en polyuréthane, reliefs géographiques d’avant la formation des continents jouxtant des motifs futuristes aux réminiscences de 2001 Odyssée de l’espace.
Rigueur et poésie, humour et philosophie se conjuguent dans ce qui peut justement s’apparenter à une folle Odyssée spatio-temporelle à échelle cosmogonique ! Le spectateur s’embarquera aux côtés du pilote, si toutefois, il veut bien se prêter au jeu.

English translation : Rose-Marie Barrientos
Traducciòn española : Maite Diaz Gonzàlez

Boris Achour
— Conatus (La joie), 2006. Photocopies couleur. 125,5 x 89 cm.
— Conatus (Gondwana), 2006. Plastique transparent. 22 x 150 cm.
— Conatus (Desire Speed), 2006. Technique mixte. Diam. : 60 cm.
— Conatus (Nous Tigres), 2006. Gouache sur papier. 72 x 91 cm.
— Conatus (Pilote), 2006. Technique mixte (59 néons). Dimensions variables.

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