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Color Blind

06 Mar - 17 Avr 2004

Des paysages-territoires situés entre le subjectivisme du vécu et l’objectivisme du constat. Un no man’s land révélé à travers un cadrage distancié, où le sujet appartient à tous et l’objet à personne. Un lieu en attente d’habitants et d’histoires.

Cédric Buchet
Color Blind

Depuis son prix au festival d’Hyères en 1999 jusqu’à la campagne pour Prada en 2001, en passant par le travail pour Tsumori Chisato, la trajectoire de Cédric Buchet n’a pas cédé un pouce de territoire. C’est ici sa première exposition personnelle.

Cette prédilection pour ces «paysages-territoires» permet avant tout d’éviter un double écueil. Le premier, celui du subjectivisme ou de l’anecdote, celui où la photo serait le témoignage de quelque chose, d’un vécu. Le deuxième écueil, celui de l’objectivisme, où la photo serait un point de vue englobant sur le monde, faisant l’inventaire des parties, cartographiant la totalité du réel. Au premier qui hume la révolte du soi (Larry Clark, Nan Goldin) et au second qui expose le pouvoir objectif des choses (Andreas Gursky), entre l’emphase du sujet (made in USA) et celle de l’objet (made in Germany), demeure un no man’s land plein d’habitations, celui des sujets pour tous et des objets pour personnes, des endroits quelconques, libres finalement d’être habités ou non.

À l’endroit exactement: Au-delà du panorama, et sa visée encyclopédique de totalité, le cadrage de Cédric Buchet est distancié et pourtant proche à la fois, introduisant de la macro dans le paysage. Ce n’est plus un horizon mais un segment, un point. Il y a donc des points, des endroits, plutôt que des lignes et des grilles. Clichés après clichés, il édifie une géographie minoritaire, qui refuse l’anecdote du vécu et le totalitarisme des inventaires. On peut en effet passer sa vie à observer une chaise de jardin en plastique sans en épuiser le mystère. L’image est un point de vue sur le réel qui n’appartient à personne. La photo est un pli, une ligne de fuite. C’est pourquoi elle émancipe. Elle ne montre pas des objets, elle ne raconte pas des histoires, elle crée un cadre, une possibilité d’habitation. Soit des paysages avant la narration, où le récit est mis entre parenthèses: l’image suspend nos pulsions d’histoire, n’est jamais strictement personnelle.

Des traces qui appartiennent à tout le monde. Comme celles des skis sur la neige de Courchevel, ou celles des pneus de bicyclette prises par Gabriel Orozco, la photo est l’index de quelque chose de proche et d’ouvert à la fois, d’intime et d’impersonnel, et se fait militante d’une démocratie sensorielle, où l’homme, la matière, le culturel et l’organique se frôlent. La photo est le capteur d’un échange, le point où des plaques se frottent, où la latitude et la longitude s’unissent, et incarne un dialogue en-deçà des sujets et des choses. La photo se poste à l’endroit où le point se fait, où le proche et le quelconque passent. Outil sismographe pour les dialogues immatériels : comme en littérature là où ça bégaie, elle se place là où les territoires baillent. La photographie pour Cédric Buchet, ça sert d’abord à créer du territoire.

Article sur l’exposition
Nous vous incitons à lire l’article rédigé par Maxence Alcalde sur cette exposition en cliquant sur le lien ci-dessous.

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