ART | CRITIQUE

Collecting British

PMarguerite Pilven
@12 Jan 2008

Est-ce un défi de collectionner anglais aujourd’hui? La collection Saatchi, de célébrité internationale après la très médiatique —et polémique— exposition « Sensation » qui a montré à la Royal Academy de Londres les travaux iconoclastes, brutaux et rigolards de ces  «Young british artists» (nés dans les années 1960) qui remuent les sensibilités.

Les travaux de Jenny Saville et Sarah Lucas infligent à la représentation du corps féminin des entorses significatives. D’impitoyables visions remplacent les dispositifs traditionnels de mise en valeur de ses charmes. Lorsque Sarah Lucas expose en 2000 une photographie intitulée Woman in a Tub, elle s’inscrit dans le sillage d’une tradition picturale qui a proposé des variations multiples de ce thème. Mais à la place de ces femmes ravissantes se livrant paisiblement à leurs ablutions, un cintre recouvert d’un débardeur blanc sur lequel sont fixés deux citrons à hauteur des seins fait office de baigneuse, d’où pend un corps de poulet pattes écartées à la fente bien visible. Cet assemblage d’objets prosaïques instrumentalise le corps en un fétiche grotesque prêt à être consommé.

Bien qu’elle se considère surtout comme peintre, Jenny Saville a réalisé une série photographique, en collaboration avec Glen Luchford, intitulée « Closed Contact ». Totalement nue, l’artiste se fait photographier, le corps écrasé sur un verre comme par un rouleau compresseur. De la même manière que dans ses peintures, le corps est perçu dans toute l’épaisseur de sa chair, ses plis, ses bourrelets, sa lourdeur. Les parties charnues du ventre et des seins s’étalent contre le verre en tranches de chair amorphes, s’exhibant directement à la surface de l’œuvre.
Entre l’esthétique de photographie médico-légale et la performance, cette image de nu féminin, plus morbide qu’érotique livre en pâture le corps de manière si puissante et tactile qu’elle donne une sensation d’étouffement. La présentation de la photographie, montée sur un caisson de plexiglas donne l’impression que le corps est contenu dans une boîte, aspect rappelant les propositions plastiques du chef de peloton anglais Damien Hirst.

Parce qu’elles se mettent parfois en scène dans leurs travaux, la prise de position engagée et revendicatrice des deux femmes apparaît clairement. Sarah Lucas s’empare d’attributs masculins en se montrant, sur un autoportrait, debout les jambes écartées, avec un long poisson placé sur l’épaule à la manière d’un boa. Bien qu’associé au sexe féminin, Got a Salmon on, qui est le titre de cette photographie, signifie aussi en argot anglais « avoir une érection ».
Cette dimension androgyne ou confusion des sexes intéresse également Saville, qui photographie des transsexuels, ces sujets au corps hybridé par le recours à des implants en silicone. Approcherait-on du « troisième sexe » ,expression qu’inventa Flaubert pour parler de George Sand ?

L’hybridation des corps apparaît également dans les travaux de Jake & Dinos Chapman, duo d’artistes choc qui exposait, lors de « Sensation », des mannequins d’enfants siamois se faisant l’amour entre les arbres d’un jardin, les deux moitiés intimement imbriquées autorisant les positions sexuelles les plus hardies. Visible à la galerie de France, une sculpture intitulée Peep Show place un mannequin nu dans une large caisse. Le petit trou percé sur un des côtés de la boîte laisse passer les palpitations lumineuses d’un stroboscope placé à l’intérieur et interpelle le regard. Une fois en position de voyeur, on voit le mannequin pivoter sur lui-même, le corps traversé de phallus en érection, comme dans un film de David Cronenberg.
Ce télescopage indécent frappe par sa concision, proposition vulgaire tellement directe qu’elle coupe court à toute escapade interprétative. On est comme devant un constat lugubre qui a pris la forme d’un collage déjanté : le voyeur s’y retrouve, réfléchi en position de parasite suceur de sang. Le mercantilisme sexuel est évoqué dans nombre des propositions hyperboliques des Chapman.

La peinture anglaise est également représentée dans cette exposition, tableaux et série d’aquarelles de Cecily Brown à la fois iconoclastes et inscrits par leur facture et leurs thèmes dans la tradition des maîtres de la peinture anglaise. L’artiste reprend par exemple dans ses aquarelles le détail d’une composition de William Hogarth qu’elle décline en un jeu de variations plastiques, parfois à la limite de l’abstraction. On retient également parmi les peintures exposées un intérieur de Dexter Dalwood d’ambiance étrange et une version peinte du personnage de Tarzan par Sophie Von Hellermann qui flirte avec la naïveté du Douanier Rousseau.

Cecily Brown
— Tricky, 2001. Huile sur lin. 121,9 x 127,6 cm.
— After the Rakeas Progress from William Hogarth, 2003. 10 gouaches sur papier. 30,5 x 30,5 cm

Glenn Brown
—Harpy 2002. Huile sur panneau. 91,5 x 75 cm.

Dinos & Jake Chapman
—Iconic Hallucination Box, 1995. Techniques mixtes. 245 x 244 x 134 cm.

Dexter Dalwood
— Ian Curtis 18.5.80, 2001. Huile sur toile. 208,3 x 175,3 cm.

Peter Doig
— Red, 1999. Huile sur toile. 30,5 x 41 cm.
— Drive way, 1997. Huile sur toile. 31 x 50,5 cm.

Sophie von Hellerman
— Johnny Wissmüleer, 2004. Acrylique sur toile. 200 x 280 cm.

Sarah Lucas
— Sex Baby, 2000. R-type print. 91,5 x 61 cm.
— Chicken Knickers, 1997. R-type print. 42 x 42 cm.

Mickael Readecker
— Sans titre, 2001-2002. Acrylique et fils sur toile. 178,5 x 178,5 cm.

Jenny Saville
— Closed Contact n°10, 1995-1996. C-print monté sur pexiglas. 243 x 181,5,9 x 17,5 cm.

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