ART | CRITIQUE

Cohabitats

PStéphanie Katz
@10 Jan 2005

De l’œuvre et de l’utile. Exposition collective sur la proximité entre la création plastique et des œuvres de designers, mise en scène les interférences esthétiques entre art et artisanat, œuvre et objet utilitaire

A partir d’un projet d’exposition-fiction, Charles Barachon installe une circulation entre cinq univers, parfois domestiques, parfois publics. Pariant sur la proximité entre la création plastique et des œuvres de designers, cette exposition collective met en scène les interférences esthétiques entre art et artisanat, œuvre et objet utilitaire. De fait, quand l’œuvre travaille le principe décoratif cher à l’art moderne, ou quand le meuble joue des effets de sens polysémiques tels que les inventa le Bauhaus, il devient difficile de déterminer la scène réelle de l’art : à n’en pas douter, elle s’étend de toute part.

Les chauffeuses d’Olivier Mourgue, très marquées par la stylistique organique des années 1970, accompagnent une table basse oblongue de Charles et Ray Eames. L’anthropomorphisme des sièges, joint à leurs tons francs et complémentaires (rouge et vert) suggèrent immédiatement le mode de vie assoupli de la bourgeoisie de ces années au cours desquelles la liberté était davantage un code communautaire qu’une réelle aspiration politique. Les images des séries B de télévision aident à imaginer les personnages alanguis bavardant autour d’un verre dans ce séjour design.

L’ensemble pourrait sembler surdéterminé, si le délicieux tableau virtuel de Maï Ueda ne venait jeter un léger trouble anachronique. Dans un cadre de lumière numérique, deux lignes noires et fébriles évoquent une paire de seins frémissants. Véritable œuvre pour salon, ces deux traits fluides restituent aux volumes creux des chauffeuses la part de corps qui leur faisait défaut.

Dans un tel contexte, les néons roses Pluie pourrie de Claude Lévêque acquièrent une dimension chaleureuse et décorative, hésitant entre une invitation à s’enfermer dans un intérieur protégé de la pluie, et une guirlande de lumière chère aux concepteurs de luminaires contemporains.

A l’autre bout de la salle, majestueux, le Piano-bureau-bar-table-de-mixage de George Nelson impose également un projet de mixité, déjouant les frontières entre valeur d’usage et valeur artistique. Par-delà l’histoire des styles, ce meuble polysémique s’articule aux Sièges habillés de Matali Grasset.
Ces chaises en plastiques de jardin, recouvertes d’une seconde peau de cuir fin, semblent disposées dans l’attente d’un public venu écouter un improbable concert.

Tout dans cet assemblage qui déjoue les styles, les époques, les fonctions d’usage et de décors, vient dire l’indétermination du lieu de l’art. La mise en scène pourrait même ici désigner l’invisibilité d’une musique injouable comme véritable objet d’art…

Dans le même esprit, Stéphane Dafflon propose des tableaux qui hésitent entre œuvres de chevalet aux formats classiques correspondant aux volumes des salons, et gros plans de motifs géométriques de papier peint.
A l’étage, ces « tableaux-décors », mis en relation avec la Table-canapé des frères Bouroullec, rejouent la polysémie des fonctions et des valeurs.

De toutes part, la proposition de Charles Barachon semble construire une démonstration : celle de la fluctuation des frontières entre œuvre et utilitaire dans notre relation à l’habitat quotidien. Et de fait, que faut-il penser des assiettes-nymphéas vendues à Giverny, des papiers peints Matisse trouvables au BHV et autres pattes de Stark ? C’est toute la question, déjà posée par les posters encadrés des lithographies de Andy Warhol, que le commissaire semble mettre en scène sous nos yeux.
Qu’est ce qui caractérise l’art et justifie son prix, si ce n’est plus ni son unicité, ni ses vocations réflexives ou décoratives, ni…, ni…, ni… ? La réponse ne sera pas tranchée ici.

Jeremy Blake, Look What the Wind Blew In, 2003. Digital c-print. 68,6 x 166,4 cm.

Ronan & Erwan Bouroullec, Safe rest grand modèle, 2004. Prototype de lit de repos. 54 x 230 x 123 cm.

Matali Crasset, Sliding Living Room. Livre, éditeur Artconnexion.

Stéphane Dafflon :
— AST013, 2000. Acrylique sur toile. 200 x 110 cm.
— AST027, 2002. Acrylique sur toile… 90 x 135 cm.
— AST061, 2004. Acrylique sur toile. 50 x 40 cm.

Plamen Dejanoff, Collective Whisdream of Upper Class Possibilities (Business Card Berlin), 2003. Techniques mixtes. 170 x 230 x 10 cm.

Charles & Ray Eames, <Elleptical Tabl, 1962. Marbre, fer.

Sylvie Fleury, Spring Summer (orange), 2000. Tapis, 3 Verner Panton chaises, 26 paires de chaussures, boîtes à chaussures. Diam. 340 cm.

Liam Gillick, Volvo Kalmar, 2004. Laque brillante sur aluminium. 300 x 50 x 20 cm.

Claude Lévêque, Pluie pourrie, 2003. Néon jaune. 42 x 240 cm.

Olivier Mourgue:
— Single Djinn, 1965. 2 sièges éditions Airborne.
— Duo Djinn, 1965. Canapé éditions Airborne

Jorge Pardo, Sans titre, 2003. Sculpture avec lampadaire, 3 tubes, bois, système électrique. 210 x 60 cm

Tobias Rehberger :
— Selbsterkenntnis, 2004. Bois, acrylique et fer. 134 x 181,3 x 78 cm.
— G. Bush DU DOOF, 2004. Bois, acrylique et fer. 134 x 177 x 78 cm.
— Selbstverstümmelung, 2004. Bois, acrylique et fer. 92 x 134 x 78 cm.

Agnès Thurnauer :
— Bien faite, mal faite, pas faite # 1, 2003. Acrylique sur toile. 130 x 88 cm.
— Bien faite, mal faite, pas faite # 4, 2003. Acrylique sur toile. 130 x 88 cm.
— Bien faite, mal faite, pas faite # 5, 2003. Acrylique sur toile. 130 x 88 cm.
— Bien faite, mal faite, pas faite (détail II), 2005. Acrylique sur toile. 40 x 40 cm.

George Nelson, The Action Office’s Stand-up Desk with Roll Top and Chrome Footrest, 1961. Bois, fer, cuir.

Maï Ueda :
— Stripper, 2003. DVD, CD audio.
— Drawings Mai on BMW #1, 2005, Aquarelle sur papier.
— Drawings Mai on BMW #2, 2005. Aquarelle sur papier.
— Doller Parfume, 2005. Test.

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