DANSE | CRITIQUE

Clytemnestra

PRoxy R. Théobald
@27 Avr 2009

Dramaturgie enchanteresse, trilogie passionnelle… Clytemnestra fut une étape phare ! Cette œuvre mythique qui célébrait son 50è anniversaire a magistralement clôturé le programme de la Martha Graham Dance Company, offrant 2 heures poignantes et vertigineuses de beauté.

C’est sur fond de bleu Klein que la pièce Clytemnestra commence par imposer sa gravité de ton. Pour sûr, la danse ici expressionniste à souhait magnifie le tempérament de feu de son héroïne. Dés les premières minutes, nous voilà propulsés dans les hautes sphères de la dramaturgie Grahamienne !  Féline, vigoureusement technique et surtout théâtrale, la gestuelle nourrie une intensité scénique à couper le souffle. Vertiges des passions les plus improbables… le geste se veut primal et authentique. Disparue en 1991, cette icône de la danse moderne était avant tout un metteur en scène de l’émoi. Laissant un répertoire conséquent de 181 pièces, elle avait revisité les grands mythes grecs : Hérodiade, Jocaste, Médée et bien entendu Clytemnestre.

Anticonformiste et activiste, elle confrontera sa vie durant le puritanisme américain et la complaisance esthétique des codes classiques. Dés 1926, elle crée son école et sa compagnie exclusivement féminine. Combinaisons-pantalons et pieds nus furent désormais de mise ! Les hommes dont Eric Hawkins, devenu plus tard son mari, ne se joindront à la compagnie qu’en 1938. La psychologie masculine, qu’elle stigmatisera délibérément dans ses créations, sera d’ailleurs l’un de ses sujets de prédilection. Inspirée des danses ethniques, indiennes et grecques, elle élabore sa propre technique dont le célèbre « contract/release » (contraction pelvienne) restera l’un des fondamentaux de sa syntaxe gestuelle. Cette zone pelvienne deviendra chez elle le point d’émergence de la ferveur primaire du geste dansé. La théâtralité et la féroce sensualité de Graham sont deux marques de fabrique que des héritiers comme Paul Taylor, Merce Cunningham, Twyla Tharp ou encore Alvin Ailey ont su réviser et conserver.

Chignon tiré, port de tête impérial et costumes drapés, c’est justement cette singulière linguistique que Clytemnestre, interprétée ici par la danseuse Taiwanaise Fang-yi Sheu, donne à voir avec une exceptionnelle justesse. Sauts, tours en « tilt », tours attitudes en dedans pieds « flex », l’énergie plus que jamais est là pour dépeindre la douleur de l’âme.
Construite sur la base du leitmotiv, la pièce s’organise selon une succession de somptueux tableaux. L’héroïne y retrace les drames de sa vie : le meurtre d’Agamemnon et de Cassandre, le sacrifice de sa fille Iphigénie, la guerre de Troie, sa propre mort par son fils Oreste…
De cette multi-narration scénique émanent de forts moments de danse : les postures de profil de danseurs rappelant certaines fresques grecques, la ronde masculine dominant Clytemnestre accablée au sol, enfin le tableau illustrant Clytemnestre en enfer. L’amorce du dénouement final digne d’un opéra relève d’une virtuosité rare. Chaque élément du décor s’incorpore à la dramaturgie.
Cette pièce de 2h10 est effectivement longue certes, l’art y est total et le public conquis.

Clytemnestra (programme C)
— Chorégraphie : Martha Graham
— Musique : Halim El-Dabh
— Décors : Isamu Noguchi

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