ART | CRITIQUE

Claude Lévêque

PGérard Selbach
@02 Mar 2005

Un parcours où l’on marche sur un grillage ouvrant sur un abîme, et où l’on se reflète dans un miroir collé au plafond. Lumière bleue, gyrophare, sentiers lumineux stroboscopiques et cercles incandescents, tout concourt à restituer des sensations proches de l’univers techno.

Un couloir grillagé ouvre ce nouveau parcours que propose Claude Lévêque. Grilles légèrement décalées du mur répondent à la grille du sol dont la présence empêche le visiteur de basculer dans le vide, celui de la cave de la galerie Chez Valentin. Et c’est bien dans un espace vertigineux que nous plonge cette exposition par un subversif jeu de miroirs; impossible de ne pas songer à cette fameuse scène de « James Bond » où l’agent secret affronte l’ennemi dans une pièce remplie de miroirs. Au final, James ne fait que tirer sur lui-même, dans cet « autre lui » que lui renvoie la surface polie. Pour résumer: nous avons les pieds sur un grillage qui ouvre sur un abîme et, en portant le regard au ciel, nous nous retrouvons plongés dans notre propre image renvoyée par un miroir collé au plafond.

Cela aurait suffi, mais non. Lévêque superpose les miroirs, les sépare de la lumière bleue qu’il affectionne tout particulièrement et place un gyrophare derrière chacun d’entre eux. On ne peut être que pris, au sens où l’on est enlevé, par un espace comme celui-ci. Reviennent en mémoire ces lignes écrites par l’artiste évoquant, au sujet des attentats du 11 septembre, l’art de Gordon Matta-Clarck : « J’aime les images de catastrophes: explosions, incendies, destructions d’édifices, contaminations bactériologiques. Sensations de chaos, basculement dans le cauchemar, paroxysme d’effets courts, directs et imprévisibles » (Claude Lévêque, La résurrection de Gordon Matta Clark, Les Inrocks.com, 18 sept. 2001). Mais dans l’espace clos et confortable de la galerie, on se dit qu’on peut avancer sans crainte, ceci n’est qu’un jeu auquel nous invite l’artiste goguenard.

Emprunter un escalier? Pourquoi pas. Mais les marches qui nous sont proposées ne conduisent à rien ou plutôt si, elles descendent vers une impasse. Un mur arrête cette déambulation impossible, le tout dans un bain de néons qui ne cessent de (nous) réfléchir.
Jeu de labyrinthe subtil ou espace sensationnaliste pour amateurs d’art en mal d’émotions fortes? Même cette question mène à un cul-de-sac ou devrions-nous dire à une ouverture sur un miroir infidèle, c’est là tout le talent de Claude Lévêque.

Imprégné de culture punk et amateur de musique électronique, l’artiste restitue des sensations proches de l’univers techno avec des sentiers lumineux stroboscopiques ou encore des cercles incandescents. Ses interventions dans des lieux peu communs (en 1992, APAC, « Opération HLM » à Nevers, ou encore, « Appartement occupé », à Bourges en 1994), l’ont encouragé à croire, comme d’autres, que l’art doit se distancier des lieux habituels d’exposition. C’est peut-être pour cela que, dans les murs « conventionnels » de la galerie, il joue à faire basculer la géométrie du lieu, à remettre en cause les lois de la perspective, à semer le trouble optique qui exacerbe, comme par ricochet, les sens déjà instables des spectateurs hagards.

Entrer dans un lieu investi par Claude Lévêque, que ce soit un appartement, un hôpital, un café, une cité de banlieue, une galerie ou un musée, revient à penser l’espace avec lui, le modifier, le malmener, décider d’aller ici plutôt que là. C’est le lieu, comme lieu social qui est au cœur de la démarche de cet artiste. Même s’il cherche, comme il le prétend, à rendre mal à l’aise, rien de l’oppression physique de la boîte de nuit ou de l’étourdissement post-traumatique (voir l’exposition Ende, octobre 2001, de la galerie Yvon Lambert) ne déborde réellement dans ce travail qui sait garder la distance nécessaire à l’acte artistique. Alors, on pourrait parler de théâtre de l’absurde pour un face-à-face démesuré et lumineux, c’est le cas de le dire.

Claude Lévêque
Installation sans titre (miroirs, néons, cageots), 2001.

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