PHOTO | CRITIQUE

Claude Cahun

POrnella Lamberti
@23 Août 2011

Combien de masques faut-il porter, combien de personnages faut-il incarner, pour espérer être soi? Usant d’un art du travestissement d’autant plus effronté que les années 30 cantonnaient les femmes à des rôles très définis, Claude Cahun tente de répondre à cette question.

«Je déserterai vos armées. Je circulerai librement dans l’espace intermédiaire. Nous verrons bien si vos dieux ou vos balles m’en peuvent déloger» (Claude Cahun, Aveux non avenus, 1930).

Claude Cahun est l’auteure d’autoportraits photographiques sulfureux, qui furent longtemps cachés et ce, même après sa mort. Et pour cause: sur les petits et moyens formats en noir et blanc, cette femme au physique androgyne se dévoile de manière frontale, empruntant sans vergogne les vies que la société puritaine des années 30 ne lui laisse pas vivre.

Bouddha dans la position du lotus, prince oriental, dandy wildien, Claude Cahun ose se métamorphoser en homme. Sur la plupart de ces portraits, l’artiste s’affiche la mine frondeuse, la moue pincée. Un des clichés les plus troublants de la rétrospective la présente de dos, photographiée juste au-dessus des reins, vêtue d’un maillot de corps et, surtout, arborant un séditieux crâne rasé.

Son nez aquilin, ses yeux petits, et la dureté de son regard font illusion, alors que la délicatesse d’une omoplate la trahit. D’autres portraits comportent des surimpressions de visages, figures plurielles affirmant la multiplicité de l’identité. Une thématique récurrente chez Claude Cahun, à la fois historiquement connotée — qu’est-ce qu’être une femme dans les années 30? — et à la fois intemporelle puisque de nombreux artistes, d’Orlan à Cindy Sherman, l’ont évoquée et l’évoquent encore.

Née Lucy Schwob en 1894, l’artiste choisit de se nommer Claude Cahun en 1915, revendiquant ainsi une certaine neutralité, et se jouant des rôles sexualisés que l’on a attribués aux genres tout en affirmant une véritable liberté de mœurs. Ainsi, alanguie sur une couverture léopard, étendue nue sur le sable, ou encore relevant sa jupe pour dévoiler un genou impudique, Claude Cahun dit: je veux «scandaliser les purs, les petits enfants, les vieillards par ma nudité, ma voix rauque, le réflexe évident du désir».

Cette liberté de mÅ“urs, ce rejet des carcans quels qu’ils soient, guide la vie et l’œuvre de cette artiste contestataire. En couple avec une autre femme — Suzanne Malherbe, son âme sÅ“ur, son amante, sa muse, avec qui elle réalise des photomontages surréalistes —, Claude Cahun est également résistante active lors de la Seconde Guerre mondiale, échappant de peu à l’exécution prévue suite à son arrestation par la Gestapo. Une politisation qui se retrouve dans ses Å“uvres, notamment dans ses photographies d’objets où des poupées de papier journal se hérissent d’étranges épines…

Présentant près de 140 œuvres, l’exposition est émaillée de citations de Claude Cahun, aussi savoureuses que ses photographies. Elle s’achève sur un documentaire contextualisant l’œuvre de l’artiste, ses difficultés à exister dans une société aux statuts encore bien dessinés.

Car qu’elle soit sévère, clownesque, grimée en homme, dormant lovée dans une armoire, ou lascive un chat entre les jambes, Claude Cahun vit ses multiples vies en dehors des cadres, osant s’abandonner à ses rêves débridés.

Oeuvres

— Claude Cahun, Sans titre, vers 1939. Tirage gélatino-argentique. 24,5 x 19 cm

— Claude Cahun, Autoportrait, vers 1929. Tirage gélatino-argentique. 11,7 x 9 cm

— Claude Cahun, Autoportrait, 1929. Tirage gélatino-argentique. 14 x 9 cm

— Claude Cahun, Autoportrait, 1927. Tirage gélatino-argentique. 19,5 x 14 cm

— Claude Cahun et Moore, Aveux non avenus, planche I, 1929-1930. Tirage gélatino-argentique (photomontage). 40 x 25 cm

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